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La pensée n'est pas dans le cerveau - M. Benasayag
Par
sgarniel
Le 01/06/2024
Article sur le site de l'UNESCO du philosophe et psychanalyste argentin, Miguel Benasayag
Par
sgarniel
Le 31/05/2024
Le dialogue nous permet d’échapper à la violence
« En vérité, le problème qui se pose à celui qui cherche la nature du dialogue n’est nul autre que celui de la violence et de la négation de celle-ci. Car que faut-il pour qu’il puisse y avoir dialogue ? [..] [Q]ue le dialogue, une fois engagé, aboutisse, que l’on puisse dire lequel des deux interlocuteurs a raison, plus exactement lequel des deux a tort [...]. Mais pourquoi l’homme accepte-t-il une situation dans laquelle il peut être confondu ?
Il l’accepte parce que la seule autre issue est la violence, si l’on exclut, comme nous l’avons fait, le silence et l’abstention de toute communication avec les autres hommes : quand on n’est pas du même avis, il faut se mettre d’accord ou se battre jusqu’à ce que l’une des deux thèses disparaisse avec celui qui l’a défendue. »
Éric Weil, Logique de la philosophie (1974)
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sgarniel
Le 31/05/2024
Visage et discours
« Visage et discours sont liés. Le visage parle. Il parle, en ceci que c'est lui qui rend possible et commence tout discours. J'ai refusé tout à l'heure la notion de vision pour décrire la relation authentique avec autrui ; c'est le discours, et, plus exactement, la réponse ou la responsabilité, qui est cette relation authentique. J'ai toujours distingué, en effet, dans le discours, le dire et le dit. Que le dire doive comporter un dit est une nécessité du même ordre que celle qui impose une société, avec des lois, des institutions et des relations sociales. Mais le dire, c'est le fait que devant le visage je ne reste pas simplement là à le contempler, je lui réponds. Le dire est une manière de saluer autrui, mais saluer autrui, c'est déjà répondre de lui. Il est difficile de se taire en présence de quelqu'un ; cette difficulté a son fondement ultime dans cette signification propre du dire, quel que soit le dit. Il faut parler de quelque chose, de la pluie et du beau temps, peu importe, mais parler, répondre à lui et déjà répondre de lui. »
Emmanuel Levinas, Ethique et Infini (1981)
M. Merleau-Ponty - Le Dialogue
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sgarniel
Le 31/05/2024
Le dialogue comme collaboration
« Il y a un objet culturel qui va jouer un rôle essentiel dans la perception d'autrui : le langage. Dans l'expérience du dialogue, il se constitue entre autrui et moi un terrain commun, ma pensée et la sienne ne font qu'un seul tissu, mes propos et ceux de l'interlocuteur sont appelés par l'état de la discussion, ils s'insèrent dans une opération commune dont aucun de nous n'est le créateur... Nous sommes l'un pour l'autre collaborateurs dans une réciprocité parfaite, nos perspectives glissent l'une dans l'autre, nous coexistons à travers un même monde. Dans le dialogue présent, je suis libéré de moi-même, les pensées d'autrui sont bien des pensées siennes, ce n'est pas moi qui les forme, bien que je les saisisse aussitôt nées ou que je les devance, et même, l'objection que me fait l'interlocuteur m'arrache des pensées que je ne savais pas posséder, de sorte que si je lui prête des pensées, il me fait penser en retour. »
Maurice Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception (1945)
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sgarniel
Le 31/05/2024
La parole nous trahit-elle ?
« Chacun de nous a sa manière d’aimer et de haïr, et cet amour, cette haine, reflètent sa personnalité tout entière. Cependant le langage désigne ces états par les mêmes mots chez tous les hommes ; aussi n’a-t-il pu fixer que l’aspect objectif et impersonnel de l’amour, de la haine, et des mille sentiments qui agitent l’âme. Nous jugeons du talent d’un romancier à la puissance avec laquelle il tire du domaine public, où le langage les avait ainsi fait descendre, des sentiments et des idées auxquels il essaie de rendre, par une multiplicité de détails qui se juxtaposent, leur primitive et vivante individualité. Mais [...] par cela seul que nous parlons, par cela seul que nous associons des idées les unes aux autres et que ces idées se juxtaposent au lieu de se pénétrer, nous échouons à traduire entièrement ce que notre âme ressent : la pensée demeure incommensurable avec le langage. »
Henri Bergson, Essai sur les données immédiates de la conscience (1889)
E. Durkheim - Langage et Pensée
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sgarniel
Le 31/05/2024
Nous pensons avec le langage
« Le langage n'est pas seulement le revêtement extérieur de la pensée ; c'en est l'armature interne. Il ne se borne pas à la traduire au-dehors une fois qu'elle est formée ; il sert à la faire. Cependant, il a une nature qui lui est propre, et, par suite, des lois qui ne sont pas celles de la pensée. Puisque donc il contribue à l'élaborer, il ne peut manquer de lui faire violence en quelque mesure et de la déformer [...]. Penser, en effet, c'est ordonner nos idées ; c'est, par conséquent, classer. Penser le feu, par exemple, c'est le ranger dans telle ou telle catégorie de choses, de manière à pouvoir dire qu'il est ceci ou cela, ceci et non cela. Mais, d'un autre côté, classer, c'est nommer ; car une idée générale n'a d'existence et de réalité que dans et par le mot qui l'exprime et qui fait, à lui seul, son individualité. Aussi la langue d'un peuple a-t-elle toujours une influence sur la façon dont sont classées dans les esprits et, par conséquent, pensées les choses nouvelles qu'il apprend à connaître ; car elles sont tenues de s'adapter aux cadres préexistants. »
Emile Durkheim, Les Formes élémentaires de la vie religieuse (1912)
Descartes - Langage propre de l'homme
Par
sgarniel
Le 31/05/2024
Je regarde comme une chose démontrée qu’on ne saurait prouver qu’il y ait des pensées dans les bêtes (…). Il est plus probable de faire mouvoir comme des machines les vers de terre, les moucherons, les chenilles et le reste des animaux, que de leur donner une âme immortelle.
Premièrement parce qu’il est certain que, dans les corps des animaux, ainsi que dans les nôtres, il y a des os, des nerfs, des muscles, du sang, des esprits animaux, et autres organes disposés de telle sorte qu’ils peuvent produire par eux-mêmes, sans le secours d’aucune pensée, tous les mouvements que nous observons dans les animaux, ce qui paraît dans les mouvements convulsifs, lorsque, malgré l’âme même, la machine du corps se meut souvent avec plus de violence et en plus de différentes manières qu’il n’a coutume de le faire avec les secours de la volonté; d’ailleurs parce qu’il est conforme à la raison que l’art imitant la nature, et les hommes pouvant construire divers automates où il se trouve du mouvement sans aucune pensée, la nature puisse de son côté produire ses automates, et bien pus excellents, comme les brutes, que ceux qui viennent de main d’homme, surtout ne voyant aucune raison pour laquelle la pensée doive se trouver partout où nous voyons une conformation de membres telle que celle des animaux et qu’il est plus suprenant qu’il y ait une âme dans chaque corps humain que de n’en point trouver dans les bêtes.
La principale raison, selon moi, qui peut nous persuader que les bêtes sont privées de raison, est que, bien que parmi celles d’une même espèce les unes soient plus parfaites que les autres, comme dans les hommes, ce qui se remarque particulièrement dans les chevaux et dans les chiens, dont les uns ont plus de dispositions que les autres à retenir ce qu’on leur apprend, et bien qu’elles nous fassent toutes connaître clairement leurs mouvements naturels de colère, de crainte, de faim, et d’autres semblables, ou par la voix, ou par d’autres mouvements du corps, on n’a point cependant encore observé qu’aucun animal fût parvenu à ce degré de perfection d’user d’un véritable langage, c’est-à-dire qui nous marquât par la voix, ou par d’autres signes, quelque chose qui pût se rapporter plutôt à la seule pensée qu’à un mouvement naturel. Car la parole est l’unique signe et la seule marque assurée de la pensée cachée et renfermée dans les corps; or tous les hommes les plus stupides et les plus insensés, ceux mêmes qui sont privés des organes de la langue et de la parole, se servent de signes, au lieu que les bêtes ne font rien de semblable, ce que l’on peut prendre pour la véritable différence entre l’homme et la bête.
Je passe, pour abréger, les autres raisons qui ôtent la pensée aux bêtes. Il faut pourtant remarquer que je parle de la pensée, non de la vie, ou du sentiment; car je n’ôte la vie à aucun animal, ne la faisant consister que dans la seule chaleur de coeur. Je ne leur refuse pas même le sentiment autant qu’il dépend des organes du corps. Ainsi, mon opinion n’est pas si cruelle aux animaux qu’elle est favorable aux hommes, je dis à ceux qui ne sont point attachés aux rêveries de Pythagore, puisqu’elle les garantit du soupçon même de crime quand ils mangent ou tuent des animaux.
René DESCARTES, Lettre à Morus, 5 février 1649.
Bergson - La conscience du temps
Par
sgarniel
Le 03/12/2023
Qui dit esprit dit, avant tout, conscience. Mais qu'est‑ce que la conscience ? Vous pensez bien que je ne vais pas définir une chose aussi concrète, aussi constamment présente à l'expérience de chacun de nous. Mais sans donner de la conscience une définition gui serait moins claire qu'elle, je puis la caractériser par son trait le plus apparent : conscience signifie d'abord mémoire. Ia mémoire peut manquer d’ampleur ; elle peut n'embrasser qu'une faible partie du passé ; elle peut ne retenir que ce qui vient d’arriver ; mais la mémoire est là, ou bien alors la conscience n'y est pas. une conscience qui ne conserverait rien de son passé, qui s'oublierait sans cesse elle-même, périrait et renaîtrait à chaque instant comment définir autrement l'inconscience ? Quand Leibniz disait de la matière que c'est "un esprit instantané", ne la déclarait‑il pas, bon gré mal gré, insensible ? Toute conscience est donc mémoire, —conservation et accumulation du passé dans le présent.
Mais toute conscience est anticipation de l'avenir. Considérez la direction de votre esprit à n'importe quel moment : vous trouverez qu'il s'occupe de ce qui est, mais en vue surtout de ce qui va être. L’attention est une attente, et il n'y a pas de conscience sans une certaine attention à la vie. L'avenir est là ; il nous appelle, ou plutôt il nous tire à lui ; cette traction ininterrompue, qui nous fait avancer sur la route du temps, est cause aussi que nous agissons continuellement. Toute action est un empiétement sur l'avenir.
Retenir ce qui n'est déjà plus, anticiper sur ce qui n'est pas encore, voilà donc la première fonction de la conscience. Il n'y aurait pas pour elle de présent, si le présent se réduisait à l'instant mathématique. Cet instant n'est que la limite, purement théorique, qui sépare le passé de l’avenir ; il peut à la rigueur être conçu, il n'est jamais perçu. Ce que nous percevons en fait c'est une certaine épaisseur de durée qui se compose de deux parties : notre passé immédiat et notre avenir imminent. Sur ce passé nous sommes appuyés, sur cet avenir nous sommes penchés ; s'appuyer et se pencher ainsi est le propre d'un être conscient. Disons donc, si vous voulez, que la conscience est un trait d'union entre ce qui a été et ce qui sera, un pont jeté entre le passé et l'avenir.