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Le Sujet 1 : la Conscience
Parcours : LA CONSCIENCE ET L'INCONSCIENT
Conscience étymologiquement, cela vient du latin cum scientia qui veut dire quelque chose comme « avec la connaissance » ou « accompagné de connaissance ». Avoir conscience, être un individu doué de conscience, cela veut dire avoir une connaissance, peut-être une intuition, de soi-même en tant que tel. La conscience, c’est la connaissance de soi.
La question que nous allons nous poser au cours de ce premier chapitre est celle de savoir si la conscience que l’on peut avoir de soi-même, celle qui pose le sujet comme face à l’objet et aux autres, est une conscience esseulée qui peut se déterminer par elle-même, ou si sa détermination et même sa connaissance ne passent pas plutôt par ce qui lui est autre ?
LA CONSCIENCE EST-ELLE LA PREMIERE EVIDENCE POUR LE SUJET ?
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Faut-il apprendre à se connaître soi-même ?
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Peut-on se connaître soi-même sans l’aide d’autrui ?
a) A la découverte de la conscience réflexive
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Peut-on se connaître soi-même ? Faut-il se connaître soi-même pour bien agir ? Est-ce un devoir de se connaitre soi-même ? Pourquoi faudrait-il chercher à se connaître soi-même ?
A première vue, être conscient de soi, c’est éprouver un certain sentiment de son propre être ; en effet, je sais que je suis et je peux chercher à savoir ce que je suis, qui je suis. La conscience serait l’intuition (la saisie immédiate) de soi. Je me saisis comme être percevant (la perception est justement le fait de rapporter à un sujet, les sensations, de les interpréter), j’ai conscience du monde qui m’entoure. De même, j’ai une représentation de ma pensée et de l’acte de penser. Enfin, j’ai conscience de mon existence, de ma présence. Elle apparaît donc comme la première évidence. En effet, le Moi semble bien transparent à lui-même : il suffit que je réfléchisse, que je me tourne vers moi-même pour me saisir comme sujet, pour avoir conscience de moi-même. Cette conscience est première et paraît évidente.
C'est ainsi que s'impose dans la pensée moderne la problématique du sujet : le sujet est à l'origine de toute connaissance, la conscience est attachée à tout sujet comme ce qui le définit. La connaissance de soi est ce qu'il y a de plus facile, elle se passe de démonstration et ne nécessite pas de connaissance particulière, c'est une intuition (connaissance immédiate). Ainsi la conscience apparaît comme innée chez les individus et l'idée du Moi semble claire pour chacun. L'évidence du sujet et de la conscience de soi est aussi forte que l'évidence du monde et de la réalité qui nous entoure. Pourtant, cette conscience de soi n'a-t-elle pas une valeur de vérité différente de celle du monde et de celle des autres ? C'est ce que Descartes va s'appliquer à montrer.
En effet, René Descartes (1596-1650) est ce philosophe français qui va entreprendre pour la première fois de questionner le sujet, marquant ainsi la naissance de la philosophie moderne. D'abord préoccupé par la question des sciences, il est à la recherche d'un point fixe, d'une certitude qui lui permettrait de fonder toute connaissance, de fournir un point de départ certain à l'entreprise scientifique. Il désire accéder à une vérité irréfutable car tout ce qu'il a pu apprendre jsuque là lui laisse un sentiment d'insatisfaction, sa démarche est d'une certaine façon assez proche de l'attitude socratique dans la mesure où il a l'impression de ne posséder qu'une illusion de savoir et non un savoir véritable. Il s'applique donc à penser par lui-même et à vérifier l'ensemble de ce qu'il a appris. Descartes va utiliser le doute sceptique pour découvrir ce qui peut échapper au doute : il soumet à l'épreuve du doute les différentes sources de connaissance que sont les sens et la raison dans ses Méditations Métaphysiques (1641).
Il utilise en effet le Doute comme méthode afin de découvrir des vérités premières sur lesquelles il entend reconstruire les sciences, des bases sures et des fondements indubitables. Ainsi, va-t-il utiliser la méthode du Doute pour tenter d’atteindre des vérités dont on ne puisse justement pas douter. Si le doute est généralisé, qu’est-ce qui y échappe ? Des vérités qui se passent de démonstration, qui s’imposent à nous par leur caractère évident. Des vérités dont nous avons une intuition immédiate. Descartes n’est pas un sceptique, il pense qu’il existe des vérités absolues, encore faut-il le démontrer et les reconnaître. Il est à la recherche de ce qu’il nomme des idées claires et distinctes : c’est-à-dire des idées que l’on peut simples et que l’on peut définir ou expliquer à la seule lumière de la Raison, mais aussi des idées distinctes, que l’on ne peut confondre avec d’autres.
La règle de l’évidence selon Descartes
La première des Règles pour la direction de l’esprit (1628) dans sa quête de la certitude et de la vérité consiste, selon Descartes, à ne prendre pour objet et à ne considérer comme vrai que ce qui résiste au doute. Nous verrons que pour lui seul peut être reconnu comme vrai « ce qui se présenterait si clairement et si distinctement à mon esprit que je n’eusse aucune occasion de la mettre en doute » (Discours de la méthode. Pour bien conduire sa raison et chercher la vérité dans les sciences – 1637).
L’idée claire et distincte ou idée évidente est saisie dans un acte d’intuition rationnelle. Elle seule permet d’échapper au doute et de déployer les chaînes de raison du discours à partir de son évidence. L’évidence seule peut fonder la certitude selon Descartes. Le modèle proposé par Descartes est celui des mathématiques et de la géométrie, nous retrouverons ce modèle de scientificité au cours de notre parcours. Le projet cartésien est d’expliciter la méthode des mathématiciens et d’en faire le modèle de toute science. La réussite des mathématiques tient en ceci qu’elles procèdent selon un ordre précis : partant des intuitions des évidences premières, elles opèrent par déduction à partir de ces évidences. D’où la rigueur de leurs raisonnements et la certitude de leurs conclusions. La révolution cartésienne consiste à envisager la science comme une mathématique universelle.
Deux sources de la vérité : les sens et la raison
1. Première source de connaissance : les sens
Donc dans le souci de respecter cette méthode, Descartes se doit de rechercher l'idée la plus simple et la plus certaine pour fonder la connaissance. Dans la « Première Méditation », celui-ci s’applique à mettre en doute tout ce qui provient des sens, de l’expérience sensible. « Tout ce que j'ai reçu jusqu'à présent pour le plus vrai et assuré, je l'ai appris des sens ou par les sens ; or j'ai quelquefois éprouvé que ces sens étaient trompeurs, et il est de la prudence de ne se fier jamais à ceux qui nous ont une fois trompés. » Parce que nos sens nous trompent quelquefois, Descartes va supposer qu'ils nous trompent toujours. Ex : les illusions d'optique, les songes ou les délires des fous.
« Toutefois j'ai ici à considérer que je suis homme, et par conséquent que j'ai coutume de dormir et de me représenter en mes songes les mêmes choses, ou quelquefois de moins vraisemblables, que ces insensés, lorsqu'ils veillent. Combien de fois m'est-il arrivé de songer, la nuit, que j'étais en ce lieu, que j'étais habillé, que j'étais auprès du feu, quoique je fusse tout nu dedans mon lit ? » Le fait que lorsque je rêve, je n'ai pas toujours conscience de rêver peut me conduire à penser que la différence entre le rêve et la réalité est illusoire et donc à douter de ce que je saisis par le témoignage des sens. De même, je peux être frappé de folie et penser être là ailleurs que je suis ailleurs. Ou encore, je peux constater qu'il m'arrive d'être trompé par des illusions (illusions d'optique par exemple). Je ne peux donc affirmer avec certitude que ce que je perçois par les sens est vrai, j'ai au moins une raison d'en douter.
Le doute de Descartes est hyperbolique, il est excessif. Descartes propose l’image suivante : supposons que, dans un panier de fruits, il se trouve des fruits pourris. Nous allons devoir faire le tri, et si nous ne voulons que des fruits parfaits, alors il va falloir éliminer tous les fruits qui présentent le moindre risque de pourriture. Descartes va alors chercher à appliquer ce doute à toutes les croyances que nous avons, et même à la croyance en le témoignage des sens. C’est pourquoi le doute de Descartes est à la fois radical et méthodique : il va s’agir de mettre à l’épreuve toutes nos croyances jusqu’à ce que l’on trouve éventuellement des certitudes.
2. Deuxième source de connaissance : les principes logiques
Une fois disqualifiées les connaissances qui proviennent des sens, que me reste-t-il ? Toutes les connaissances proviennent-elles des sens, comme l’affirment les empiristes ? Ainsi Locke dira-t-il que « Rien n’est dans l’entendement qui n’ait d’abord été dans les sens.» John Locke, Essai sur l’entendement humain (1689). Au contraire, pour Descartes, il existe des vérités que mon esprit tire de lui-même, des intuitions rationnelles. L’esprit humain n’est pas une tabula rasa, une table rase. Il existe des idées innées. Par exemple, en ce qui concerne les vérités mathématiques, même s'il n'y a rien à dénombrer, 2 + 2 font toujours 4, même s'il n'y a pas de triangle sensible à mesurer, la somme des angles d'un triangle est toujours égale à celle de deux angles droits, ne s'agit-il pas d'évidences qui s'offrent à notre esprit immédiatement, voire que celui-ci possède naturellement ?
« Car, soit que je veille ou que je dorme, deux et trois joints ensemble formeront toujours le nombre de cinq, et le carré n'aura jamais plus de quatre côtés ; et il ne semble pas possible que des vérités si apparentes puissent être soupçonnées d'aucune fausseté ou d'incertitude. » (Méditation première)
Pourtant,ce ne sont pas ces idées innées ou les grands principes de la logique qui sont la première certitude. Descartes trouve en effet le moyen d'en douter ! Quand j'affirme que deux et deux font quatre ou qu'un triangle a trois côtés, suis-je certain de ne pas toujours me tromper en pensant cela ? Bien sûr, pour le philosophe idéaliste, ces principes logiques et ces idées de l'esprit sont plus sûres que les représentations issues des sens, mais il n'en demeure pas moins qu'on peut encore en contester l'évidence. Descartes va remarquer dabord que parfois je peux me tromper dans mes calculs, donc peut-être que sans le savoir je me trompe toujours. Mais il va aussi émettre l'hypothèse d'un Malin génie, une sorte de démon trompeur qui passerait son temps à m'induire en erreur, à me faire croire telle ou telle chose.
« Je supposerai donc qu'il y a non point un vrai Dieu, qui est la souveraine source de vérité, mais un certain mauvais génie, non moins rusé et trompeur que puissant, qui a employé toute son industrie à me tromper. »
Pour comprendre ce qui signifie cette hypothèse qui semble farfelue, on peut aujourd'hui penser au film Matrix de Lana Wachowski, Lilly Wachowski (1999). Dans ce film, les hommes pensent vivre une vie normale dans un univers réglé duquel ils ne peuvent s'échapper, pourtant ils sont en réalité branchés à une matrice qui crée ce monde virtuel. Ainsi ils sont la proie d'un équivalent de ce dieu trompeur : ils sont trompés et leur monde est un faux monde.
Mais alors que reste-t-il de vrai si même les intuitions logiques et mathématiques sont révoquées en doute ? Apparemment rien ! Ce que je perçois par les sens est faux, et même l'existence de mon corps est frappée de nullité. Ce qui m'apparaît comme des évidences intellectuelles n'est peut-être qu'un tissu de vérités illusoires ? Descartes nous conduit dans ses Méditations à cette étape sceptique selon laquelle il semble que rien ne soit vrai si ce n'est que rien n'est vrai. Pourtant, il ne peut en rester là : Descartes utilise un doute méthodique et hyperbolique, mais c'est pour tirer de cette opération une certitude absolue !
3. L'évidence du Sujet et de la Conscience
Mais cependant je continue à dire que je perçois, que je me persuade que tout est faux, que je doute. Toutes ces expressions ne témoignent-elles pas de la présence d'une volonté qui accepte de suspendre son jugement, c'est-à-dire de douter tant qu'elle n'est pas parvenue à une vérité certaine et indubitable. Cette présence est-elle susceptible d'être réfutée en doute ? Puis-je douter de l'existence de ce « moi » qui doute ? Non ! Puisque que je me trompe ou que je sois trompé, il y a une certitude indubitable : je suis, j'existe.
René Descartes, Méditations métaphysiques (1641)
Découverte du Cogito : Cherchant à refonder entièrement la connaissance, Descartes souhaite lui trouver un fondement solide, absolument certain. Cette recherche l'amène à la conclusion que seule sa propre existence, en tant que « chose qui pense », est certaine. C'est cette découverte qu'exprime le « cogito ». Cogito, ergo sum (Je pense, donc je suis). Unique certitude qui résiste à un doute méthodique et hyperbolique.
D'abord employée en français dans le Discours de la méthode (1637), la formule connaît plusieurs variantes dans l’œuvre de Descartes. En 1641, les Méditations métaphysiques réaffirment le cogito en latin sous une nouvelle forme : ego sum, ego existo (« je suis, j'existe »). Ce n'est qu'en 1644, dans les Principes de la philosophie, que la formule « cogito ergo sum » est publiée directement en latin par son auteur.
Le doute hyperbolique n'est pas illimité, il débouche sur l'affirmation d'une première certitude : « Il faut conclure, et tenir pour constant que cette proposition : Je suis, j'existe, est nécessairement vraie, toutes les fois que je la prononce et que je la conçois en mon esprit. » Cette affirmation est donc une exception au doute universel, une vérité indubitable, une première évidence. Je puis douter de tout sauf de la condition même du doute, c'est-à-dire de ma propre existence.
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Cette découverte de la certitude de l'existence par la simple réflexion du sujet sur lui-même se présente donc comme une vérité première, comme une première évidence. Elle ne nécessite aucune démonstration, elle ne se déduit pas d'autre chose qu'elle-même. Elle s'offre à nous dans la clarté de l'évidence par sa résistance au doute. La conscience de soi est le modèle de toute vérité, de "l'idée claire et distincte" selon Descartes. Ainsi cette approche de la conscience de soi et de la vérité conduit à affirmer la spécificité de l'être même de la pensée qui en se saisissant elle-même se découvre porteuse de vérité, d'une vérité première qu'aucun doute ne peut détruire. De cette découverte, Descartes fera le fondement de sa démarche. Ainsi il identifie deux substances qui constituent la réalité : la substance étendue (la matière) et la substance pensante (l'esprit). L'homme est une union problématique de ces deux substance : corps et esprit. Il est ainsi le seul à disposer de la liberté, du libre-arbitre. Le monde corporel obéit quant à lui aux principes de la mécanique et du déterminisme (y compris les animaux qui pour Descartes sont des sortes de machines).
Pourtant cette première certitude nous donne-t-elle véritablement une connaissance du sujet, nous renseigne-t-elle sur nous-même ? En effet, Descartes définit le sujet comme une chose qui pense : « Mais qu'est-ce donc que je suis ? Une chose qui pense. Qu'est-ce qu'une chose qui pense ? C'est une chose qui doute, qui entend, qui conçoit, qui affirme, qui nie, qui veut, qui ne veut pas, qui imagine aussi et qui sent. » Mais cette définition n'est-elle pas circulaire ? Qu'apprend-on vraiment sur le sujet, sur son identité à partir de cette évidence. Le cogito ne délivre pas une connaissance précise, est-il d'ailleurs une connaissance ? Il est plutôt une certitude se rapportant à l'existence du sujet connaissant conscient de lui-même.
Mais cette première vérité semble bien enfermer le sujet dans le solipsisme de la pensée. Comment la conscience se rapporte-t-elle au monde si elle est une substance tout à fait à part ? C’est le problème du dualisme. En effet, Descartes pense et avance que la conscience, qu’il identifie à la pensée, à l’esprit est une substance que l’on ne peut penser que comme totalement différente de la substance matérielle. Ainsi son dualisme (il y a deux substances) identifie-t-il d’une part la substance du monde, la matière considérée comme pure mécanique, à l’étendue, et d’autre part la substance qui caractérise le seul homme, l’âme ou la pensée. Mais alors, on ne comprend plus comment l’une peut correspondre à l’autre, agir sur l’autre. Comment la volonté qui émane de la pensée peut-elle agir sur le corps ?
b) La Conscience comme fondement de la responsabilité
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Sans langage puis-je prendre conscience de moi-même ? Suffit-il de suivre sa conscience pour être dans son droit ? Agir selon sa conscience est-ce agir selon ses valeurs personnelles ?
Alors que Descartes fait de la conscience de soi le fondement de toute connaissance, Emmanuel Kant (1724-1804) montrera qu’elle est la base de la construction du sujet. Le sujet n’est proprement humain que s’il possède cette représentation de soi qui le caractérise. Il n’est responsable de ses actes, que s’il a conscience de ceux-ci, de leurs effets, etc. On peut relever que les degrés de conscience sont des degrés de responsabilité. Il s’agit de relever l’intention du sujet dans ses actes. Nous le voyons, l’évidence de la conscience de soi connaît des degrés. Mais ces degrés permettent de rapporter un acte à un sujet : j’ai conscience de mes actes donc j’en suis responsable (j’agis en conscience, prenant la mesure de mes responsabilités, la conscience est un engagement).
La dignité humaine est liée à cette conscience première qui me constitue comme sujet moral, c’est-à-dire comme personne. Nous passons là du sujet et de sa conscience de soi à la personne et à sa conscience morale. Le signe de l’accès à cette conscience de soi chez l’enfant se trouve dans le langage qui témoigne de cette pensée de soi-même qui dépasse même la simple représentation, le simple sentiment de soi.
Emmanuel Kant – Anthropologie du point de vue pragmatique (1798)
Les êtres humains ont ce privilège de la conscience. Contrairement aux animaux, ils ont conscience d’eux-mêmes, ils ont une représentation de leur être. On peut dire qu’ils se distinguent des choses en ce qu’ils ne sont pas seulement un en-soi, mais aussi un pour-soi. L’existant humain ne peut donc être comparé à un objet, ou même à un animal, en ce qu’il dispose d’une représentation de lui-même. Kant nous dit qu’il possède le « je » dans ses représentations.
Pourtant, ce qui est intéressant de souligner ici, c'est l'importance que Kant accorde au point de vue psychologique. Il propose une anthropologie qui relie le développement de la conscience de l'individu avec son développement naturel. L'enfant ne dispose pas d'une conscience pleine et entière, tant qu'il ne dit pas "je", tant qu'il ne se représente pas lui-même comme à l'origine de ses actions, de ses pensées et de sa volonté. La conscience n'est donc pas innée, mais au contraire le fruit d'un développement et d'un apprentissage. Peut-être faut-il surtout distinguer la conscience comme sentiment de soi-même, comme conscience de son existence et la conscience comme conscience morale.
La conscience est ce qui nous permet d’accéder non seulement au savoir, mais aussi au statut de personne morale. Elle est la base de la construction de l’identité et de la responsabilité. Mais cette idée de conscience morale, si elle fait bien la dignité humaine, engage aussi sa responsabilité. Celui qui n’a pas conscience de ce qu’il fait ne peut pas être tenu pour responsable de ses actes (l’enfant). De là découle toutes les finesses de notre justice qui entend prendre en considération l’intention, c’est-à-dire le degré de conscience de l’auteur des actes au moment où ils ont été commis. La conscience est donc le fondement de la morale et de la responsabilité, elle semble être la base en nous de la connaissance, de la connaissance de soi et enfin de la connaissance du Bien et du Mal.
Cette première certitude est donc un point essentiel de toute philosophie de l’identité et de la responsabilité. Pourtant, nous verrons qu’elle peut être contestée et qu’il faudra alors repenser le fondement de la conscience à partir d’éléments qui nous apparaissent d’abord extérieurs. C’est la dialectique de la conscience. Mais observons d’abord ce qui pourrait remettre en cause la transparence annoncée de soi à soi.
c) Peut-on remettre en cause la transparence de la conscience ?
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Suis-je le mieux placé pour me connaître moi-même ? Suis-je ce que j’ai conscience d’être ? La conscience de soi est-elle trompeuse ? La conscience est-elle source d’illusions ?
La critique la plus virulente de la saisie intuitive du moi et du moi comme entité substantielle, nous est donnée par David Hume (1711-1776) dans son Traité de la nature humaine. Sa thèse est que la conscience de soi n’a rien de privilégié : elle ne nous donne pas accès à nous-mêmes. Cela, parce que nous ne pouvons avoir une idée précise et claire du Moi.
Hume est un philosophe qui fait partie de ce que l’on a appelé les Lumières écossaises (avec son ami Adam Smith notamment) qui ont fondé la pensée de l’empirisme et de l’utilitarisme. Ils sont à l’origine des thèses du Libéralisme. Il est notamment l’auteur du Traité de la Nature Humaine (1739), puis de l’Enquête sur l’entendement humain (1748). Nous verrons qu’il est considéré comme un penseur sceptique, bien qu’il s’en défende, car il remet en question tout ce dont justement nous n’avons pas l’expérience empirique réellement.
Héritier de la première philosophie empiriste, il s'appuie sur les conceptions de John Locke (1632-1704), fondateur de l’empirisme anglais. Locke était déjà un penseur critique des thèses métaphysiques des rationalistes et notamment de Descartes : critique des idées innées, des concepts de substance ou d’âme… Pour lui, en effet, l'esprit est une tabula rasa une feuille blanche qui ne contient aucune idée innée. Les idées proviennent toutes des sens : "Rien n’est dans l’esprit qui n’est d’abord été dans les sens". Hume radicalise la critique empiriste, notamment en ce qui concerne la conscience et l'idée du Moi.
Ainsi, il remettra en cause la découverte cartésienne de la Conscience comme première certitude en affirmant que « nous n’avons pas de sentiment de nous-même ».
David Hume, Traité de la nature humaine (1739)
Problème : le moi (cartésien) est-il bien une évidence? Une expérience immédiate et incontestable?
Hume s'oppose aux philosophies introspectives, qui prétendent que l’on peut avoir l'intuition d'un moi, et que cette intuition est tellement évidente qu'elle se passe de toute démonstration. Hume va prendre la philosophie de la conscience à son propre piège : elle prétend être fondée sur une expérience particulière, celle du "moi". Pour eux, une certaine expérience (celle de l'introspection) nous conduit à l'idée d'un "moi". Hume va essayer de montrer que l’analyse de l’expérience empêche qu’on puisse la supposer capable de constituer un "moi". Nous n’avons pas l’expérience d’une impression constante et unique qui correspondrait au moi, au contraire, nous n’avons qu’une succession d’expériences qui sont toutes orientées par la sensation de quelque chose d’extérieur. Nous n’avons pas de témoignage d’une substance qui se tienne sous nos sensations ni sous nos pensées. C’est la critique radicale de la métaphysique comme ce qui va chercher derrière les actes ou les facultés une substance, un sujet qui les porte.
Le sentiment de soi-même pour Hume, c’est donc simplement prendre conscience de quelque chose et non pas s’apercevoir que l’on est une conscience. Il n’y a pas perception d’un moi accompagnée d’une affection de ce moi, mais seulement perception d’une impression. Ce que je perçois par introspection, ce n’est pas un moi mais un flux d’impressions qui sont discernables et donc différentes les unes des autres.
L'idée du Moi n'est pas une idée simple, claire et distincte. Le Moi apparaît lui-même comme une sorte de fiction, Hume le compare plus loin à un théâtre, à un lieu fictif auquel se rapporteraient les sensations. Le moi est une hypothèse qui nous permet de saisir la diversité des impressions et de les regrouper ou les recueillir. Le sujet est une construction, une fiction qui est le support de ma connaissance. En réalité, la thèse de Hume ne peut être celle d’une disparition pure et simple du sentiment d’identité, elle s’adresse plutôt au philosophe qui se trouve bien en peine de démontrer l’existence d’une substance comme le moi, sans aucune impression qui permette de l’inférer. Ce n’est pas que le moi n’est rien, c’est qu’il n’est pas une chose, un substance. Le sujet est transitoire, changeant et ne vaut que comme continuité de sensations, comme flux et rappel du flux des impressions (sentiment, perception, mémoire).
C’est à toute théorie substantialiste de la conscience que s’oppose Hume, on pourrait parler déjà d’un flux de conscience. Kant, qui reconnaîtra sa dette à l’égard de Hume en disant qu’il l’a sorti de son « sommeil dogmatique » tirera les conséquences du scepticisme humien. Ainsi, il posera l’importance et l’exigence du point de vue subjectif dans toute perception, tout en accordant que l’existence de ce point de vue ne prouve pas qu’un sujet personnel existe en soi comme substance métaphysique.
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Que devons-nous retenir de la critique empiriste de Hume ? Sans doute faut-il surtout s'attacher à distinguer (ce que Descartes ne fait pas) trois sens différents de la conscience :
- La conscience comme conscience de notre existence : c'est une conscience qui semble bien être une évidence première
- La conscience comme conscience morale : cette conscience est le principe de la responsabilité et elle se construit au cours de la vie par l'apprentissage de la réflexion
- La conscience comme connaissance de soi : le scepticisme de Hume nous montre que l'évidence de la conscience ne nous fournit pas de définition valable du Moi, pas de connaissance réelle de l'identité de ce sujet toujours mêlé à des perceptions.
Quand on s'interroge sur l'identité du sujet et sur la conscience de soi pour savoir par exemple si elle peut être trompeuse, il faut bien s'interroger sur ces trois définitions possibles. Mais au-delà de cette interrogation qui naît de la critique empiriste, nous sommes conduits à nous interroger sur la part du sujet que représente la conscience. En effet, nous l'avons vu déjà avec Kant, le sujet se construit, il devient conscient, il se connaît mieux... donc il y a dans le sujet une part qui échappe au moins pour un temps à la conscience. L'enfant n'est par exemple pas conscient d'être un sujet moral avant un certain âge. De la même façon, la connaissance de soi semble bien nécessiter un travail, puisqu'elle n'est pas une intuition, ni une évidence première, nous ne nous connaissons pas réellement d'emblée. Ces critiques de la conception cartésienne du psychisme seront exacerbées par la révélation d'une part d'inconscient dans le sujet par les penseurs du soupçon au XIXe siècle.
d) Un soupçon sur la conscience
Qui sont les penseurs du soupçon ? Ce sont des penseurs qui ont constaté au XIXe siècle le recul des valeurs établies, notamment des valeurs métaphysiques, et qui en ont tiré les conséquences en termes philosophiques. Ainsi on associe au terme de soupçon trois penseurs en règle générale :
- Nietzsche a travailler à lever le voile sur l'origine des valeurs, notamment dans le christianisme. Il invite à dépasser l'homme actuel, celui qui se contente de valeurs héritées dont on voit aujourd'hui qu'elles sont contestées, pour accéder au Surhomme comme créateur de ses propres valeurs. Le soupçon que Nietzsche développe concerne notamment les croyances de l’homme et sa volonté de vérité.
- Marx analyse la société moderne, capitaliste dans ses rouages et dénonce le fonctionnement injuste et inéquitable de celle-ci. C'est le penseur de la lutte des classes. Le soupçon porté par Marx est social et historique.
- Freud a critiqué et déconstruit le sujet tel qu’on l’entendait depuis Descartes. L’homme selon lui n’est plus transparent pour lui-même, il y a dans le sujet une part d'inconscient irréductible qui l'empêche d'être maître de ses pensées et de ses comportements.
Friedrich Nietzsche, Le Gai Savoir (1882)
La conscience est ce qui est le plus difficile à appréhender. Les faits de conscience ne sont pas, par définition, objectifs. Contradiction à vouloir se connaître soi-même.
Friedrich Nietzsche (1844-1900) est un philosophe allemand dont l’œuvre est essentiellement composée d’aphorismes ou de poèmes. Il remet en question les acquis philosophiques et les valeurs (morales, scientifiques…) de la métaphysique et de la civilisation occidentale. Principales œuvres : Ainsi parlait Zarathoustra, Par-delà le Bien et le Mal, Le Gai Savoir, Généalogie de la morale…Selon Nietzsche, la connaissance de soi est ce qu’il y a de plus difficile.
La définition même de la connaissance nous renvoie à la connaissance de l’objet. Il est absurde de prétendre à une connaissance objective du sujet. Nietzsche réfute l’argumentation de Descartes en révélant que la croyance dans le Moi et dans le Sujet résulte d’une « croyance dans la grammaire » : parce que nous attribuons toujours un verbe d’action à un sujet, il devrait y avoir un sujet, une substance qui soit le support de la pensée. Or, il est possible que le sujet ne soit qu’une fiction comme le rappelle Hume, liée à cette habitude. Peut-être n’y-a-t-il que des pensées ou une volonté qui s’affirme dans la pensée, des forces vitales qui s’affrontent dans les profondeurs et qui miroitent à la surface. Le sujet serait alors une illusion de profondeur et en réalité un « effet de surface ». Nietzsche est le philosophe qui remettra résolument en cause toutes les profondeurs métaphysiques supposées : ainsi il proclamera la « mort de Dieu », lui aussi « effet » de l’habitude humaine de rapporter toute chose à une cause, et donc finalement à une cause première.
La difficulté pour l’homme à se connaître lui-même et notamment à connaître sa conscience qui lui est si intime, si proche, qu’elle en est invisible, est une remise en cause radicale de l’intériorité et de la substantialité de la conscience au profit d’une conception dynamique de la vie et de la volonté de puissance qui s’y déploie. La conscience s’efface avec Nietzsche « comme à la limite de la mer un visage de sable » (Michel Foucault, Les Mots et les Choses 1966) : nous croyions avoir conscience de nous-même, mais il s’agissait d’une illusion (illusion sans doute très utile, d’abord pour donner du sens à ses actions, mais aussi pour rendre chacun responsable de ses actes). Nietzsche va jusqu’à relever le lien essentiel entre la conscience et le langage et montre que la conscience est liée à la communication et non à l'intériorité. C'est pour communiquer que nous avons besoin d'avoir conscience de ce que nous voulons, de ce que nous désirons. Sans doute, selon lui, la conscience est-elle née de l’importance de la communication dans la vie humaine, de la nécessité de la parole.
Nietzsche refuse donc le postulat de la profondeur, de l’intériorité de la conscience, il la relie plutôt à un « instinct » de communication. La conscience pour Nietzsche est une faculté presqu’accidentelle et tardive, elle ne constitue pas l’essence de l’homme. Cependant, nous pourrions trouver chez lui aussi l’idée d’une conscience « supérieure » possible, d’une conscience qui serait alors création de valeurs…
Ce que nous retenons de cette critique nietzschéenne de la conscience, c'est l’évocation d’un inconscient avec l’idée que la conscience n’est que l’effet d’une lutte inconsciente de forces et d’instincts ou de pulsions dont on mesurera l’étendue avec Freud. Mais Nietzsche relève aussi le lien entre la conscience, la responsabilité et la communication, qui rattachent la conscience à l’intersubjectivité et sans doute déjà au pouvoir : la conscience de soi étant conscience de sa responsabilité, mais aussi de sa valeur. Quel lien peut-on établir entre la conscience et le pouvoir, entre la conscience subjective et l’assujettissement au pouvoir ? C’est ce que Marx nous permet de penser.
Karl Marx & Friedrich Engels, L’idéologie allemande (1845)
Penser la conscience comme expression, effet d’un contexte social. La conscience telle que nous la comprenons est un produit de l’idéologie dominante.
Selon Marx, la conscience est liée aux conditions économiques, aux conditions de production, et donc aux rapports sociaux. Ainsi, la conscience est la sublimation d’un rapport de force historique et économique. Elle fait partie du dispositif idéologique et a une histoire que l’on pourrait retracer. Elle échappe ainsi à toute évidence. Si je me perçois comme un sujet libre (conscience de soi), porteur de droits et de devoirs (conscience morale), c’est que j’intériorise l’idéologie dominante. En effet, on pourrait dire que la liberté dont je me targue n’est qu’une illusion de liberté, c’est une liberté de penser et non de faire. Elle participe donc de l’appareil idéologique qui sublime les tensions sociales. De même, la conscience morale est l’intériorisation par les dominés, par les classes qui ne possèdent pas les moyens de production, du discours « bourgeois » de la responsabilité morale, du devoir et du respect des lois qui protège les institutions (notamment le droit de propriété à la base de la société capitaliste).
Mais alors, quelle solution peut-on envisager qui permette d’échapper à cette intériorisation de la domination ?
Et bien, il s’agit de s’ouvrir, de s’éduquer à une conscience qui échappe à la morale individualiste et libérale (conscience de soi comme base de la liberté, de la responsabilité et source du Contrat social) : la conscience de classe. En effet, selon Marx et ses successeurs, les classes sociales peuvent accéder à une conscience de ce qu’elles peuvent historiquement accomplir. Ainsi, le prolétariat serait la classe en position historique de se saisir du processus économique qui la détermine et de le modifier en fonction de ses intérêts. La conscience de classe est donc une conscience commune opposée à la conscience individuelle du sujet. C’est aussi une conscience qui s’établit dans l’Histoire, c’est-à-dire qui n’est pas une évidence, mais bien une conquête sans cesse renouvelée, le fruit d’un travail sur soi et avec les autres.
Cette seconde remise en cause de la transparence de la conscience l’expulse du paradis de l’intériorité et de l’individualité libre et sereine, pour la faire entrer dans la lutte historique entre les dominants et les dominés. Elle semble ainsi lui refuser l’importance première qu’elle se donne, pourtant elle permet de penser la conscience non plus comme donnée, mais comme processus (historique, intersubjectif, conscience de classe…). Elle lui offre donc en tant que conscience de classe un rôle majeur dans l’émancipation de l’homme en général. Le sacrifice de la transparence permet d’inscrire la conscience dans l’histoire et dans la vie réelle.
Cet ancrage de la conscience dans le « destin » historique de l’humanité nous ouvre aussi une second chemin. En effet, l’interrogation qui découle de l’approche marxiste, de ce soupçon marxiste sur la conscience libérale, est celui-ci : la fausse conscience qui recouvre la conscience de classe, qui dissimule la domination et les rapports de forces réels, matériels, économiques, ne fait-elle pas basculer dans l’inconscient tout ce qui n’est pas « conscientisé » ? Si nous intériorisons l’idéologie dominante, si nous souffrons de l’aliénation (étrangers à nous-même), c’est sans doute que nous refoulons, que nous refusons de voir, la réalité du pouvoir… En ce sens, le marxisme est bien une introduction à une pensée de l’inconscient, de l'inconscient social et historique. Cependant, celle-ci sera développée et élaborée scientifiquement par la psychanalyse.
En effet, le troisième de ces philosophes que Michel Foucault a appelé les « maîtres du soupçon », Freud, sera l’inventeur de cette science particulière qu’est la psychanalyse. Celle-ci est basée sur la découverte de l’inconscient, c’est-à-dire sur la remise en cause absolue du statut de la conscience dans l’agir, dans la prise de décision, dans la pensée et la volonté humaines.
Sigmund Freud, Introduction à la psychanalyse (1917)
Introduction à l’idée d’inconscient. Les trois humiliations : Copernic, Darwin, la psychanalyse. Destruction de l’égocentrisme – le Moi n’est pas maître en sa maison.
Sigmund Freud (1856-1939), médecin autrichien qui inventera la méthode psychanalytique et découvrira l'Inconscient comme une part irréuctible du psychisme du sujet, clôt cette série de remises en cause de la conscience. Freud découvre l'Inconscient en s'attachant à étudier les maladies psychiques : si celles-ci n'ont pas d'explication consciente, c'est bien que l'on doit chercher leur cause inconsciente. Ainsi, la psychanalyse comme analyse du psychisme et découverte de l'Inconscient se révèle être une révolution scientifique à l'égal des révolutions copernicienne ou darwinienne.
Copernic et Galilée ont chassé l'homme du centre de l'Univers en passant du paradigme du géocentrisme à celui de l'héliocentrisme. C'est tout un rapport au monde et à l'univers qui en a été bouleversé en plus d'une révolution scientifique majeure. En ce sens, Freud peut parler d'une humiliation du narcissisme de l'homme par l'astronomie moderne. Mais il en va de même selon lui avec la théorie de l'évolution telle que Darwin la développe. L'homme est rattaché au règne animal qu'il ne surplombe même plus, il est une branche parmi d'autres dans l'évolution du vivant. A nouveau, ce changement de paradigme en biologie offre une rupture dans la représentation que l'humanité a d'elle-même et contredit le sentiment qu'elle a de sa supériorité. Il y aurait beaucoup à dire sur la théorie de l'évolution en ce qu'elle marque effectivement une science affranchie des idéologies religieuses et même de la métaphysique (avec l'évolution et la sélection naturelle, il n'y a plus de but ou de finalité à la vie, mais simplement une orientation pratique). Néanmoins, Freud note que sa découverte en psychologie est du même ordre. L'homme n'est plus le centre de l'univers, il ne surplombe plus de sa supériorité les autres vivants, mais avec la psychanalyse, il n'est plus même maître de lui-même. En effet, ce que découvre Freud, c'est un ensemble de déterminations inconscientes qui échappent au sujet et qui le dominent cependant. Il n'est plus maître de son comportement ni même de ses pensées et de ses rêves !
CONCLUSION
A la recherche d’un fondement certain des sciences, Descartes utilise le doute radical pour découvrir ce qui pourrait bien lui résister. Alors que la croyance en l’existence même du monde est suspendue, alors que les principes de la Raison eux-mêmes pourraient être trompeurs, ce qui résiste au Doute, c’est l’existence du sujet conscient de lui-même. La conscience de soi est donc ce point fixe recherché par Descartes pour fonder la science.
A partir de cette certitude, la conscience s’établit comme identité et comme personnalité. Le point fixe est aussi le lieu de naissance de la conscience morale chez l’individu. La conscience est à la fois conscience de sa liberté et de sa responsabilité. Elle constitue la dignité de l’homme selon Kant, mais aussi sa misère comme nous le rappelle Pascal.
Nous semblons donc avoir démontré l’évidence de la conscience de soi pour le sujet. Pourtant, ne peut-on remettre en cause les conclusions cartésiennes. En effet, on remarque avec Hume que nous n’avons aucune impression ou aucun sentiment intime qui corresponde à cette idée claire et distincte. La conscience n’apparaît que comme un faisceau de perceptions et de pensées diverses et multiples, dont elle constituerait l’unité « fictive ». Nous n’avons conscience que des perceptions et nous les rapportons, pour faire simple ou par habitude de langage, à une conscience unique qui n’est pas donnée…
La réserve émise par Hume quant à l’existence d’une chose telle que le Moi (Idée ou Substance d’ailleurs) nous met sur la voie d’une critique de la conscience. Elle sera portée à son terme par les philosophes du Soupçon que sont Nietzsche, Marx et Freud. Le premier n’est pas très éloigné de penser comme Hume que le Moi est une fiction du langage. Il est clair pour lui que la conscience de soi n’est ni évidente, ni intime. Elle est au contraire un « effet de surface », de forces sans doute inconscientes qui lui préexistent. Le lien entre la conscience de soi et la communication nous conduit à envisager une origine sociale à la conscience de soi. Celle-ci apparaît chez Marx comme le résultat de processus historiques et comme le reflet d’un rapport économique de domination. La conscience de soi et encore la conscience morale elle-même ne serait-elle alors qu’une illusion issue de l’idéologie dominante ?
La conscience serait l’intériorisation d’une fausse liberté et d’un individualisme à combattre. Il faudrait alors la dépasser en assumant une conscience plus conforme à ses intérêts, une conscience collective : la conscience de classe. La conscience individuelle est ainsi une aliénation qui maintient dans l’inconscient les forces capables de contester l’ordre social.
Enfin, après l’importance de forces inconscientes chez Nietzsche et le dévoilement par Marx de rapports de force inconscients pour le sujet, Freud montrera quant à lui que la conscience n’est pas le principal dans la vie psychique de l’individu. Une bonne part de cette vie psychique est inconsciente et la connaissance de soi que l’on prétendait si évidente devient la plus éloignée des connaissances…
La conscience solitaire est bien mise en question et le coup de grâce lui est porté par la découverte de l’inconscient dont la psychanalyse et Freud vont proposer la théorie. Cependant nous verrons que cette théorie psychanalytique vise bien à une connaissance du sujet qu’il s’agit de comprendre dans sa totalité : conscience et inconscient.
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