« Honte à la suffisance de ceux qui prétendent connaître ! […]
Quand dans les choses, sous les choses, derrière les choses, ils retrouvent ce qui, par malheur, ne nous est que trop connu, par exemple notre table de multiplication ou notre logique, ou encore notre vouloir et notre convoitise, comme ils sont heureux, aussitôt ! Car « ce qui est connu est reconnu » : ils sont unanimes à cet égard. Mais les plus circonspects d’entre eux prétendent que le connu tout au moins serait plus facile à reconnaître que ce qui est étranger : il serait par exemple plus méthodique de prendre son point de départ dans le « monde intérieur », depuis les « faits de la conscience », parce que ce serait là le monde mieux connu de nous-mêmes ! Erreur des erreurs !
Le connu, c’est l’habituel, et l’habituel est ce qu’il y a de plus difficile à « reconnaître », c’est-à-dire à considérer en tant que problème, donc en tant qu’étranger, que lointain, que situé « hors de nous ». La grande assurance dont les sciences naturelles font preuve par rapport à la psychologie et la critique des éléments de la conscience […] tient précisément au fait qu’elles prennent la réalité étrangère pour objet : tandis qu’il y a quelque chose de presque contradictoire et d’absurde à vouloir prendre pour objet ce qui n’est pas étranger. »
Friedrich Nietzsche, Le Gai Savoir (1882)