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La Culture (partie 1) Technique
LA CULTURE
La culture peut être définie de différentes manières : elle s’oppose d’abord à la nature, en ce qu’elle est avant tout une transformation du monde, de l’environnement par l’homme. Ainsi, la culture s’affirme dans le développement des arts et des techniques. Mais elle est aussi ce qui s’oppose à la « sauvagerie », c’est-à-dire à la nature humaine telle qu’elle se donne avant toute éducation, avant toute transformation. La Culture est alors une transformation de soi, notamment au contact de l’autre. Nous verrons que la Culture est la façon dont l’homme en société habite le monde et tente d’y mieux vivre…
Exemples de sujets Baccalauréat
La Culture dénature-t-elle l’homme ? La Culture nous unit-elle ? Peut-on juger d’une culture d’après son degré de développement technique ? Se cultiver, est-ce s’affranchir de son appartenance culturelle ? La culture libère-t-elle des préjugés ? Le Droit n’est-il que l’expression d’une culture particulière ? En quoi une culture peut-elle être la mienne ? Les hommes sont-ils seulement le produit de leur culture ?La morale dépend-elle de la culture ? Une culture peut-elle être porteuse de valeurs universelles ? La diversité des cultures sépare-t-elle les hommes ?
INTRODUCTION
- Les différents sens du mot Culture
Nous devons d’abord distinguer les emplois du terme culture. Etymologiquement, la culture désigne bien sûr l’agriculture (colere en latin signifie « travailler la terre »), c’est-à-dire le fait de transformer son milieu qui caractérise l’être humain. Par extension, la culture désigne ensuite les fruits du travail de l’homme, travail intellectuel, travail de fabrication et de création, sa technique et son art.
Lien entre la culture et le travail. Le rapport avec la culture de la terre vient en effet dans ce cas de la reconnaissance de la transformation de son milieu par l’homme : la Culture s’oppose ainsi à la Nature. C’est la grande opposition philosophique Nature/Culture qui donne son sens à nombre de problématiques philosophiques.
En effet, nous pouvons aborder la notion de Culture selon cette problématique de transformation et de modification par l’homme de son milieu, compris comme nature. Nous verrons que la technique et ses développements confèrent à l’homme un pouvoir sur cette nature. Est-elle pour autant une nature domestiquée ? Nous distinguerons l’intervention humaine sur son environnement par la technique des interventions artistiques dont l’usage semble bien différent : l’art et la technique. A travers la comparaison de ces deux manières pour l’homme de travailler le réel, il sera sans doute possible de mieux comprendre où se situe l’homme, entre nature et culture.
Où se situe en effet l’Homme entre la Nature et la Culture ? La question de la « nature humaine » est ainsi essentielle dans toute réflexion sur la culture : celle-ci implique une réflexion sur les caractéristiques nécessaires, universelles et intemporelles par lesquelles il serait (éventuellement ?) possible de définir l’être humain. En effet, l’état de nature désigne par exemple la situation d’un homme hors de la culture, c’est-à-dire hors de toute société. Mais existe-t-il des hommes naturels, ou doit-on toujours parler de culture humaine, quel qu’en soit l’expression ?
La culture se définit au sens le plus large comme l’ensemble des manières de vivre, d’agir et de penser ayant été instituées par les hommes pour organiser leur vie en commun au sein de la société. La culture est ainsi ce qui distingue les hommes des animaux, en ce qu’ils produisent leur environnement. Elle est donc une un moyen de domination de l’homme par lui-même : aussi bien au niveau individuel qu’au niveau de la société ? La culture transforme-t-elle l’Homme ?
On peut dire aujourd’hui que la culture désigne un ensemble de faits, de croyances, de productions qui permettent d’identifier une communauté (nationale ou non). En effet, ces sont historiquement un vecteur important de culture des peuples (au passage, nous pouvons remarquer la filiation entre « cultuel » et « culturel » depuis le latin colere,cultiver et rendre un culte). Elle est donc avant tout un ensemble de manières de vivre, de manière d’agir, par lequel certains hommes se reconnaissent comme appartenant à la même communauté (le langage est ainsi un élément culturel important, un élément d’échange). La culture a donc une valeur de reconnaissance et d’appartenance, elle comprend notamment la question de l’appartenance religieuse.
Elle s’entend comme civilisation : c’est-à-dire qu’elle est l’ensemble des productions culturelles d’un peuple historique ; elle désigne le caractère civilisé, policé d’un peuple. Elle devient par là-même, comme civilisation, un jugement de valeur. La culture, la civilisation s’opposent à la barbarie et la sauvagerie.
La domination culturelle de l’Occident a longtemps favorisé une conception ethnocentriste de la culture qui ne reconnaissait qu’aux seuls occidentaux la qualité d’homme civilisé. La civilisation occidentale était comprise comme seule universelle et elle s’opposait aux particularismes des autres peuples. L’histoire moderne a été le lieu de l’affirmation violente et meurtrière de ces conceptions ethnocentristes et racistes, avec notamment l’esclavage, la colonisation, et l’extermination génocidaire de la dernière guerre.Cette conception est heureusement aujourd’hui battue en brèche, notamment grâce aux apports de l’ethnologie et des sciences humaines en général. En effet, celles-ci ont permis de relativiser la suprématie culturelle, de comparer les richesses des peuples sans les hiérarchiser, et de mettre l’accent sur la nécessité d’une ouverture à l’autre, d’un dialogue des cultures, pour toute société humaine. La problématique des échanges sera notre fil d’Ariane dans cette exploration de l’ouverture à l’autre, non seulem)ent des échanges marchands et matériels, mais bien surtout des échanges immatériels, symboliques ou culturels.
Cependant, l’actualité récente nous le montre encore, il est toujours difficile de comprendre les différences, de les accepter comme essentielles à sa propre culture, de privilégier la multiplicité des cultures à la simplicité de la normalisation culturelle. Il existe toujours une tension dans la culture entre des tendances à l’universalité et une affirmation des particularismes. Nous verrons l’actualité de ces débats dans nos sociétés avec notamment la question de la diversité culturelle, les critiques portées aujourd’hui au multiculturalisme. C’est pourquoi nous tenterons de favoriser une approche dynamique de la culture, culture comme élaboration commune, mais aussi personnelle de conditions de la vie en société.
La culture ne consiste en effet pas seulement dans les productions de toute sorte d’un peuple, d’une nation ou d’un individu. Elle ne réside pas que dans les institutions culturelles, ni dans une identité culturelle qui soit fixée. A l’exemple des langues qui en sont la traduction, la culture qui n’évolue plus est -morte.
En effet, la culture est un processus de formation et de création, elle réside dans un mouvement vital des peuples. Elle est construction de valeurs, d’institutions et de rapports au sein d’une société donnée. La culture est toujours un domaine vivant, en perpétuelle modification. Située au carrefour de nombreuses contradictions : identité et pluralisme, stabilité et mouvement, individu et société, la culture est à la fois durable et en perpétuelle évolution.
Nous l’aborderons donc selon les trois angles que nous avons ici distingués : la culture comme domination et transformation de la Nature ; puis la culture comme transformation de l’Homme par lui-même, comme « domestication de l’animal humain » ; enfin la culture pourra être envisagée comme le vecteur des échanges et des rencontres : par le dialogue des cultures, transformation de l’Homme par sa rencontre avec d’autres…
Georges Bataille, L’Erotisme (1957)
L'homme est un être naturel, c'est-à-dire un être qui s'inscrit dans un monde naturel dont il fait partie, comme animal et comme être vivant. Cependant, cet être est le seul qui s'oppose à cet état naturel. En effet, pour Bataille (1897-1962), l'être humain s'oppose à la nature extérieure, au milieu naturel, en le transformant : ainsi il le change par l'agriculture, mais aussi en inventant des outils, des techniques et des arts qui lui permettent de transformer la matière brute, naturelle. On peut donc identifier un premier ensemble correspondant à ce qui s'oppose à la nature : l'ensemble des techniques et des arts.
Mais cette transformation n'est ni la seule ni la première. En effet, nous voyons dans ce texte que Bataille identifie dans cette opposition de l'homme à la nature, un autre milieu que l'homme s'évertue à modifier par son action et par ses techniques. L'homme se change lui-même par les techniques et les arts que nous avions déjà identifiés, mais surtout par l'éducation, la religion et la morale. Il modifie son comportement naturel et devient lui-même le produit de son action volontaire de modification. Ainsi par exemple, l'homme ne se livre-t-il pas à la satisfaction immédiate de ses besoins (naturels), au contraire, il invente des rituels qui sont autant de détours lui permettant d'éloigner ce besoin et de le transformer en désir. Si Bataille traite dans ce livre de l'érotisme, nous voyons que chaque besoin subit le même traitement : le besoin de se nourrir donne par exemple lieu à l'invention de rituels de cuisine, de préparation et de consommation qui font que l'on ne se contente pas de satisfaire sa faim. Cette miseà distance peut aussi prendre la forme d'interdits : ainsi toutes les religions comprennent des interdits (alimentaires, comportementaux) qui nous éloignent d'autant de notre animalité naturelle.
Ce que nous retenons de la thèse formulée dans ce texte, c'est la constitution par l'homme d'un ensemble de pratiques, de techniques, de comportements qui visent à modifier le donné naturel et qui correspondent aux différentes manières de comprendre la Culture.
Nous avons dégagé l’idée que la domination de la Nature passait donc d’un côté par l’opposition à la nature externe, puis par la transformation de la nature humaine elle-même. Pour Bataille, on ne peut pas dissocier ou hiérarchiser ces deux modes de transformation de la Nature. Ils sont complémentaires.
Problématique : La culture nous permet-elle d’aménager le monde naturel et la société ?
- Opposition Nature/Culture : La Culture comme transformation de la Nature. Art et techniques comme moyens de transformation et de création mis en œuvre dans le travail humain.
- Opposition Culture comme civilisation/Barbarie : La Culture transforme l’homme. Education et Vie en société.
- La diversité des Cultures / L’unité du genre humain : Question de la diversité des Cultures. La religion unit-elle les hommes ou les sépare-t-elle ? Echanges et dialogue entre cultures.
Introduction : la Culture permet-elle la domination de la Nature ?
« Nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature » nous dit Descartes dans le Discours de la méthode, voilà ce que nous permettrait l’usage méthodique de la raison. L’homme transforme son milieu en un milieu proprement humain. L’intelligence humaine est porteuse de promesses, elle s’attache à transformer le monde, à le modifier pour son usage. Le développement des sociétés humaines va de pair avec la transformation de l’environnement. Combien reste-t-il aujourd’hui de lieux vierges de toute intervention humaine ? L’homme façonne le monde par son travail, il fait de la nature le paysage sur lequel s’inscrit son action, le fonds sur lequel la culture opère. L’activité des sociétés humaines consiste à utiliser les choses naturelles dans leur processus culturel de développement des techniques et des arts.
Ces deux pôles sont les secteurs principaux de la transformation de son environnement : elles sont des intermédiaires, des pratiques et des modes de l’inscription de l’agir humain dans le monde. Il convient de les distinguer pour tenter de saisir leur spécificité et le rapport qu’elles entretiennent avec cette réalité que nous pensons changer.
L’art et la technique : deux façons de transformer le monde naturel ?
Aux sources du concept de culture : la culture est la marque de l’humanité en tant qu’elle est un travail ou une activité humaine transformant une matière ou nature. Oublié par la nature, l’homme développe ses capacités spécifiques en domptant la nature et sa nature.
A l’origine, il n’y a pas de distinction entre l’art et les techniques. En effet, l’art désigne toute activité humaine visant à produire des objets. En ce sens, l’art s’oppose à la nature qui est l’ensemble des choses existantes sans l’intervention de l’homme. Ce n’est qu’au XVIIIe siècle que le terme d’art ne s’appliquera plus qu’aux Beaux-Arts avec la signification que nous lui connaissons aujourd’hui. L'art réclame donc toujours des règles : il y a des règles à observer lorsque l'on est charpentier, comme lorsque l'on est musicien, si l'on veut produire l'œuvre désirée. C'est exactement ce que veut dire le mot téchnè en grec : la technique, c'est l'ensemble des règles qu'il faut suivre pour produire un objet donné. Nous distinguerons progressivement l’art de la technique, au fil de notre enquête sur les moyens par lesquels l’homme modifie le monde, crée ou produit au moyen d’outils et en suivant les plans de son intelligence : les moyens par lesquels il travaille !
Selon Aristote, tout objet produit par la nature comme par l'homme, est déterminé par quatre causes : la cause matérielle (la matière dans laquelle il est fait), la cause formelle (la forme qu'on va lui donner), la cause finale (ce à quoi l'objet va servir) et la cause efficiente (l'artisan qui travaille l'objet). La technique est l'ensemble des règles permettant d'ordonner ces causes dans un art donné : une règle technique nous dit comment travailler telle matière, quelle forme lui donner, si l'on veut en faire tel objet.
Le lien entre la technique et le travail se double d’un lien entre la science et la technique. En effet, une des caractéristiques de la technique est d’être une réalisation, une production, dans laquelle nous savons ce que nous faisons. Marx souligne que « ce qui distingue dès l’abord le plus mauvais architecte de l’abeille la plus experte, c’est qu’il a construit la cellule dans sa tête avant de la construire dans la ruche. Le résultat auquel le travail aboutit préexiste idéalement dans l’imagination du travailleur. » Le geste technique est un signe de l’intelligence humaine puisqu’il est effectué en vue d’un effet, de la réalisation d’une production, d’une visée.
On le voit, dans un premier sens, rien ne permet de distinguer l’art de la technique. La séparation entre ces deux pratiques est récente et a accompagné le développement d’une forme particulière de technique. Si la technique existait avant la science (l’homme préhistorique ne se souciait pas d’expliquer scientifiquement l’efficacité du propulseur), l’âge moderne a permis le couplage de ces deux disciplines : la technoscience. L’accélération du progrès technique est liée à ce couplage qui fait de la technique et des technologies un usage éclairé et rationnel (on retrouve ici la rationalisation moderne). En même temps que la technoscience se sépare des arts, désormais compris comme Beaux-Arts, elle étend son pouvoir sur la nature. Elle est porteuse de nombreux espoirs de maîtrise de la nature, de domestication des énergies, mais surtout d’émancipation de l’homme, de sa libération des tâches ingrates confiées à la technique et à l’automatisation.
Pourtant, comme le film de Charlie Chaplin « Les Temps Modernes » (video) le montre, la technique est aussi ce qui aliène l’homme, ce qui l’enchaîne à un travail répétitif et dont il ne maîtrise plus le sens. De plus, le pouvoir que donnent les technologies ne risque-t-il pas de dépasser ceux qui l’utilisent ? C’est l’ambivalence de la promesse prométhéenne que Mary Shelley fera endosser au professeur Frankenstein…
Selon Descartes, la science doit nous rendre « comme maîtres et possesseurs de la nature ». C’est la promesse portée par le développement de la culture en tant qu’intervention de l’homme sur la nature. Par quels moyens l’homme entend-il prendre possession de son bien ? Nous voyons que la transformation du monde est l’œuvre du processus culturel, elle passe par le travail : c’est-à-dire qu’elle est d’abord une transformation de la nature par la technique et l’art. Mais ce travail peut se révéler aliénant et représenter une malédiction pour l’homme, conformément à une conception traditionnelle de celui-ci : le travail viendrait de tripalium, un instrument de torture... Mais cette malédiction réside-t-elle dans le travail ou dans le détournement de celui-ci par des pouvoirs accaparants qui empêchent sa véritable nature émancipatrice de se réaliser ?
Le travail et la technique se définissent ainsi entre promesse et danger...
1. La technique permet-elle de compenser la faiblesse humaine ?
La technique s’oppose-t-elle à la nature ? Peut-on renoncer au progrès technique ? La technique est-elle le propre de l’homme ? Le développement technique transforme-t-il les hommes ? La technique accroît-elle notre liberté ?
L’existence des techniques est liée à la situation de l’homme dans la nature. Sa fragilité le contraint à agir et à travailler pour compenser sa faiblesse originelle. La technique peut se définir comme l’ensemble des moyens inventés par l’homme pour travailler, transformer, modifier la nature. Des outils les plus simples aux machines et robots les plus complexes, le développement de la technique obéit à la loi du progrès. Il a donné naissance à notre temps. Le développement rapide des technologies caractérise en effet nos sociétés.
a) La technique est le propre de l’homme
La technique est le propre de l’homme, mais elle est sans doute liée à son statut précaire. En effet, toute conquête humaine est le fruit d’un travail, d’une recherche et finalement d’une lutte. La maîtrise par l’homme de son environnement n’est pas donnée d’emblée, elle s’acquière et nécessite un travail. C’est le sens de la destinée de l’humanité qui est en jeu ici...
Platon, Protagoras (Ve-IVe s av JC)
Le mythe de l’invention des techniques - Particularité de l’homme : non pourvu par la Nature – technique comme compensation et pouvoir / Pouvoir ambiguë : la technique et le feu permettent de se chauffer, de cuire ses aliments et de chasser, mais aussi de faire la guerre…
Dans le texte de Platon, nous identifions la technique comme ce qui pallie à la faiblesse supposée de l’animal humain. En effet, après avoir distribué toutes les armes et forces aux animaux, les créateurs du genre humain ne trouvent plus rien à attribuer à l’homme. Ce dernier devra à Prométhée, un titan qui apprécie la race humaine, le feu dérobé aux dieux. Cependant, cette faculté (issue d’une faiblesse) est d’emblée ambigüe. En effet, elle permet de résoudre les questions de survie et de pourvoir aux besoins naturels. Elle assure une forme de domination des hommes sur les animaux et la nature. Mais elle condamne aussi l’homme au travail, celui-ci doit inventer, fabriquer et utiliser les outils et les méthodes qu’il conçoit. L’âge d’Or mythique où la nourriture serait à portée de main et la vie sans efforts est perdu... Plus grave sans doute, la maîtrise des outils et des techniques, si elle constitue bien la possibilité même d’une société, inscrit en son cœur la division et la guerre. Ainsi, dans La République, Platon montre-t-il que la maîtrise des outils de plus en plus complexes conduit à une spécialisation puis à une division du travail, dès l’Antiquité les métiers sont spécialisés. Il y a une division en métier, en castes et bientôt en classes sociales qui disposent d’un pouvoir ou d’un prestige inégaux. Ce qui permet la vie sociale est aussi ce qui risque de la détruire. Ainsi, la maîtrise des outils et des arts du feu est-elle aussi celle de la fabrication des armes. Les outils risquent toujours d’être retournés contre les autres hommes... Il existe bien un danger lié au développement de la technique et du travail dès l’origine.
Cette faculté est ce qui caractérise l’homme comme possesseur de la technique, mais elle comprend aussi la faculté de ruse ou de raisonnement productif. En effet, le feu est symbole de l’intelligence. Par la technique, l’homme se caractérise comme producteur d’outils, comme homo faber ("homme qui fabrique"). C'est ce que souligne notamment Henri Bergson (1859-1941), philosophe français, dans L’évolution créatrice : « En définitive, l'intelligence, envisagée dans ce qui en paraît être la démarche originelle, est la faculté de fabriquer les objets artificiels, en particulier des outils à faire des outils, et d'en varier indéfiniment la fabrication ».
Si l'homme est le premier animal technique, c'est aussi parce qu'il utilise jusqu'à son corps comme un véritable outil. Ainsi l’anthropologue Marcel Mauss (1872-1950), considéré comme le « père de l'anthropologie française », nous indique-t-il dans un article de 1934, « Les techniques du corps », que : « Le corps est le premier et le plus naturel instrument de l’homme. Ou plus exactement, sans parler d’instrument, le premier et le plus naturel objet technique, et en même temps moyen technique, de l’homme, c’est son corps. » En effet, l’usage utile du corps, les disciplines corporelles, forment des techniques à part entière. Il en va de même de techniques qui sont celles des services (techniques de vente par exemple) et qui mettent en jeu les relations humaines, la parole et la rhétorique plutôt qu’un ensemble d’outils.
La technique et l'usage des objets et de son propre corps comme des outils pour transformer le monde est bien ce qui semble être le propre de l'homme.
b) La technique promet la domination de la nature
Cette technique et cette maîtrise des outils est essentielle à l’homme, mais elle doit être guidée par la Raison pour lui être réellement profitable. Seul le développement des techniques et des sciences humaines peut donner la maîtrise de la Nature.
René Descartes, Discours de la méthode (1637)
Le progrès technique et le développement des connaissances humaines est plein d’une promesse de domination de la nature et d’émancipation des nécessités naturelles. Menée avec méthode, la connaissance donne la maîtrise. Descartes inverse la proposition habituelle qui explique la maîtrise des artisans par leur connaissance de la nature, il propose de connaître la nature comme on apprend les métiers.
Ce passage contient l’orientation principale de la croyance en le progrès des connaissances et des techniques. D’abord, il lie explicitement la technique et la science (complexe de la technoscience à l’origine de notre culture moderne) et conditionne la première au développement de la seconde (cela n’a pas toujours été le cas, comme il le souligne lui-même). C’est ce couplage qui oriente tout progrès vers la maîtrise de la nature extérieure, sa domestication à notre usage, sa transformation. Mais, Descartes montre ici qu’un nouvel objet apparaît à l’horizon du XVIIème siècle : l’objet humain, la vie prise dans son acception humaine. Le progrès est utile à l’homme dans ses artifices, mais aussi en ce qui concerne sa santé. Descartes voit dans les progrès de la médecine le paradigme du développement d’une technique rationnelle.
Voilà les deux promesses du progrès technique clairement exprimées (on en entend aujourd’hui encore l’écho) : celle d’une maîtrise de la nature et celle d’une amélioration de l’homme.
Est donc technique tout ce qui transforme la nature en vue d’une utilité quelconque, au moyen d’outils ou d’une discipline. La finalité de la technique est une finalité pratique, elle permet à l’homme d’agir sur le monde par son travail. Elle pallie à son absence d’aptitude naturelle par l’invention culturelle.
La technique n’est porteuse de promesse de progrès que si elle est guidée par la Raison et ne sert qu’à assurer le bien-être de l’homme. Pourtant, elle est porteuse de lourdes menaces, non seulement sur la nature, mais aussi sur l’homme.
2 – Le progrès technique me donne-t-il tous les pouvoirs ?
La maîtrise de la technique donne-t-elle le pouvoir de contrôler les hommes ? Y a-t-il plus à espérer qu’à craindre de la technique ? Y a-t-il des limites aux interventions humaines sur le vivant ?
Il reste peu de paysages qui n’aient été transformés par l’action de l’homme, l’accélération des techniques modernes et l’industrialisation ont permis un développement sans précédent des sociétés humaines. Chaque ressource est exploitée afin d’augmenter les capacités de production et de transformation. La technique permet cette croissance économique qui est le moteur de notre civilisation. Comme le soulignera Hannah Arendt (1906-1975), philosophe allemande exilée aux Etats-Unis et philosophe s'interressant à la condition de l'homme moderne, aujourd’hui la puissance de l’homme est telle qu’il fait la Nature, qu’on ne peut plus parler de nature sans parler de l’action de l’homme sur celle-ci. Par cette action, l’homme donc transforme et modèle son environnement ; c'est ce que l'on appelle l'anthropocène.
Mais la médiation des outils et de la technique nous donne-t-elle tous les pouvoirs sur le monde qui nous environne ?
Depuis le XIXe siècle, il est devenu difficile de conserver l’optimisme rationaliste de Descartes. Que les techniques viennent satisfaire les besoins des hommes, ou leur désir, n’est pas contestable. Mais l’évolution même des désirs et des besoins est orientée par l’évolution de la technologie, la technique suscite les besoins qu’elle comble ! La technique change notre rapport au monde.
Hannah Arendt montrera comment cette société du travail aliénant, de la technologie envahissante, de la consommation effrénée et des divertissements, empêche une authentique pensée, un réel engagement dans la vie en commun. La technique, si elle favorise un progrès et une croissance séduisants et porteurs d’espoir, modifie néanmoins le cours naturel des choses et il est sans doute nécessaire de prendre la mesure des risques qu’elle fait peser sur la nature et l’homme.
a) Faut-il limiter le pouvoir de la technique ?
Pour le moment, nous nous focaliserons sur le pouvoir que donnent les techniques sur la nature et sur le monde qui nous entoure. Il est en effet évident que ce pouvoir de transformation qui est le propre de l’homme peut avoir des effets néfastes. Tant que les techniques n’étaient pas suffisamment puissantes pour provoquer des changements majeurs dans l’équilibre de la nature, la question de la responsabilité humaine ne se posait pas. Mais, il faut bien reconnaître aujourd’hui que le progrès technologique s’est accompagné d’un progrès de la capacité de nuisance. C’est ce qu’un philosophe allemand, Hans Jonas (1903-1993), relève et il en tire les conséquences en termes de responsabilité et de précaution. En effet, Jonas qui est surtout connu pour son éthique pour l’âge technologique, publie en 1979 Le principe responsabilité qui deviendra une référence pour la bioéthique. Il affirme dans ce livre que la technique est plus qu’un simple instrument dans les mains de l’homme, elle engage selon lui une vision du monde, une vision dominatrice qui ne prend pas en compte ses potentialités destructrices pour la nature et pour lui-même. Il relève ainsi une double inquiétude : par son exploitation effrénée de la nature, la technique risque de détruire les équilibres naturels ; de plus la science impose un système de valeurs dévalorisant la nature, celle-ci est sans droit car seul l’homme confère de la valeur aux choses.
L’objectif de Jonas est de restaurer une valeur à la nature sans l’opposer à celle de l’homme mais au contraire de montrer que l’homme en tire sa valeur. C’est pourquoi il en appelle au Principe Responsabilité un impératif catégorique qui pose l’exigence d’une éthique renouvelée, c'est-à-dire de règles morales de conduite à l'égard du vivant. Il s’agit de déterminer les pouvoirs que nous pouvons exercer et les risques encourus. Ce principe est sans doute à l’origine du Principe de précaution tel qu’on le trouve dans le droit français. Cependant il a dû faire face à un certain nombre de critiques qui soulignent notamment le danger d’immobilisme lié au pessimisme méthodique proposé par Jonas (si une technologie peut conduire à une catastrophe, il faut l’interdire par principe), mais aussi à la question de l’autoritarisme qui est induit par cette conception. Qui décide en effet des dangers potentiels et surtout quel pouvoir fait respecter la décision prise ?
Hans Jonas, Le Principe Responsabilité (1979)
Le pouvoir que nous donne la technique, notamment dans la société moderne, devient un péril. Face au pouvoir technoscientifique, il faut inventer une nouvelle éthique, un nouvel impératif : Le Principe Responsabilité. La toute-puissance de la technologie requiert une nouvelle éthique.
Il est cependant bien entendu que le principe de responsabilité tel qu’il est avancé par Hans Jonas se veut une contribution au débat démocratique et non seulement une parole d’expert.
Principe-Responsabilité (Hans Jonas) : le principe responsabilité d’Hans Jonas peut se définir comme un impératif catégorique qui s’impose devant l’avancée de la technoscience : « Agis de façon que les effets de ton action soient compatibles avec la permanence d'une vie authentiquement humaine sur terre » ; « Agis de façon que les effets de ton action ne soient pas destructeurs pour la possibilité future d'une telle vie. ».
On le voit, ce principe est à l’origine de nombreuses critiques actuelles à l’égard des technologies. Ainsi, l’écologie constitue une mise en œuvre de cette bioéthique. Il est question de valoriser un autre usage des techniques, plus respectueux de l’environnement. En effet, le monde ne peut se réduire à son usage technique.
Ainsi la technique et le travail ne donnent-ils pas tous les pouvoirs à l’homme. En effet, s’ils lui permettent de transformer la nature et la nature humaine, ce n’est pas sans lui faire courir un danger inédit. Il s’agit donc de limiter les prétentions des techno-sciences en établissant des règles éthiques. C’est ainsi que le principe responsabilité devient un principe de précaution capable de nous guider dans l’usage des technologies.
Il peut servir, nous l’avons vu, dans le cadre des transformations par l’homme de son environnement et est alors sensé préserver la nature des atteintes les plus graves à son équilibre ou sa préservation. Mais, nous comprenons qu’il doit aussi guider les transformations physiques ou génétiques que l’homme peut s’infliger à lui-même. C’est le débat sur les biotechnologies et les modifications génétiques de la nature de l’homme qui s’ouvre ici. Ainsi, les récentes découvertes génétiques, le travail sur les embryons humains ou le clonage nécessitent-ils d’être régulés et encadrés par des lois qui obéissent aux grands principes de la responsabilité, de la précaution : c’est ce que l’on entend par les lois bioéthiques.
Il s’agit d’un danger double ici : celui pour la Nature tel que l’a compris par exemple Hannah Arendt : l’homme aujourd’hui fait la nature et en devient donc comptable. Mais aussi un danger pour l’homme qui semble aliéné dans son monde même... Il peut modifier son propre patrimoine génétique, sa propre nature. Est-ce souhaitable et peut-on réguler ces modifications ? Nous nous retrouvons face à un problème engendré par l’ambition prométhéenne de l’homme : égaler Dieu, créer la vie, créer la nature et le monde à son image... C’est donc aujourd’hui aux limites de la maîtrise technique de la nature que nous sommes confrontés et à ses enjeux éthiques, moraux...
Pourtant, cette menace sur la nature et sur l’homme n’est pas la seule menace que comporte la domination de la perspective technique sur le vivant. En effet, elle se double d’une modification du rapport même que l’homme entretient avec le monde. L’approche technique est, nous l’avons vu, porteuse d’un réductionnisme utilitariste qui entame non seulement la nature physique du monde, mais aussi sa nature symbolique ou son sens authentique pour l’homme. La technique est devenue autre chose que la simple maîtrise de la nature, elle est devenue la façon dont l’homme comprend le monde et se comprend lui-même. Il est au service de la technique !
Peut-on réduire l’homme et la société à cette technique ? La démocratie se réduit-elle à la technocratie ? La technique apparaît finalement notamment aux penseurs de l’école de Francfort comme une idéologie. Cette techno-science met-elle en péril la vie authentiquement humaine, met-elle en péril la démocratie ? Nous sommes passés d’une mise en péril de l’intégrité physique de l’humanité, à celle de son intégrité symbolique et collective. Les sciences mettent en cause le rapport de l’homme au monde et son rapport à lui-même.
b) La technique libère-t-elle l’homme ?
Il y a donc deux risques de réduction dans l’approche technique du monde et de la nature. Il y a d’abord celui d’une réduction de ce qui nous entoure à ce qui est utile pour nous : réduction utilitariste. Nous voyons par exemple que l’art et l’esthétique contiennent une prétention à nous présenter justement les choses hors de leur rapport à l’homme, à nous présenter la réalité telle qu’elle nous apparaît en dehors de toute considération utilitaire. L’art est donc un rapport au monde non-technique. S’il utilise les techniques pour produire une œuvre, c’est pour échapper aussitôt à la finalité technique. Pour Kant, le Beau suscite un plaisir désintéressé, il est distinct en ce sens de l’agréable. L’œuvre d’art pour Kant, trouve sa fin en elle-même, contrairement à l’objet technique. De même, peut-on dire, la nature trouve-t-elle sa fin en elle-même, elle est vie.
Dans la Métaphysique des Mœurs, Kant formule une nouvelle fois l’impératif catégorique qui fonde la morale : « Agis de façon telle que tu traites l'humanité, aussi bien dans ta personne que dans toute autre, toujours en même temps comme fin, et jamais simplement comme moyen ». Ne pourrait-on pas appliquer cet impératif à toute forme de vie ? Refuser de réduire la vie à la seule utilité, à n’être que moyen de notre pouvoir technique : c’est en grande partie le sens du Principe Responsabilité tel que nous le rencontrons chez Jonas. Mais, ce premier risque de réduction se redouble du risque d’une réduction de l’homme lui-même à l’état de seul moyen (contradictoirement donc à l’impératif kantien) : l’homme au service de la technique et non plus l’inverse. C’est d’abord le constat d’un appauvrissement des rapports entre l’homme et le monde qu’il habite.
Loin des promesses de libération de l’homme des nécessités naturelles, le travail apparaît confisqué par des forces sociales, par des impératifs politiques ou économiques qui s’imposent à l’individu. Le travail n’est-il pas plutôt un outil d’asservissement de l’homme par l’homme ?
Nous pouvons ainsi souligner l’importance dans le critique marxiste du capitalisme de l’idée d’une aliénation de l’homme par le travail.
Dans ce texte, Karl Marx (1818-1883), théoricien du communisme et critique de la société capitaliste, démonte le fonctionnement de nos sociétés modernes. Il montre que le travail qui devrait libérer l’homme, lui permettre de se réaliser et de s’accomplir dans la réalisation d’un œuvre, devient le lieu d’une aliénation essentielle, d’une injustice faite à la dignité humaine. En privant l’ouvrier ou le travailleur des fruits de son travail, le capitalisme crée une scission dans le monde politique et social. Ce détournement de la valeur du travail au profit de l’enrichissement est ce qui mine toute volonté d’égalité et de justice. Il y a donc une confiscation économique des fruits du travail par la classe des possédants, au détriment des travailleurs, mais aussi une confiscation politique des règles de vie en commun, de l’organisation politique et sociale : c'est ce qu'il nomme l'aliénation (le travail devient étranger au travailleur) et l'exploitation (la valeur créée est confisquée).
Nous verrons que cette inégalité qui naît par la mise en œuvre des techniques, se retrouve dédoublée par l’influence de ce monde économique et technicien sur l’organisation sociale.
Comme nous pouvons déjà le voir dans un extrait de la République de Platon, la société nécessite le travail et l’usage de techniques. L’assemblée des hommes pour faire face à leurs besoins conduit d’abord à une diversification des métiers (la diversité des besoins entraîne la diversité des métiers), puis à une spécialisation de chaque métier (pour en posséder la maîtrise, pour y consacrer suffisamment de temps. Nous avons donc à nouveau affaire à une division qui naît du travail et de la technique, nous étudierons plus précisément ces forces de division qui agissent dans la société dans la suite du cours.
On le voit, le travail et la technique agissent sur l’homme et sur l’organisation de la société elle-même. En créant de nouvelles fractures, qui sont comme l’écho de la scission entre l’homme et la nature, la technique semble bien faire peser un nouveau risque sur l’homme : celui d’une hiérarchisation, d’une inégalité des conditions et finalement d’un régime politique qui ne vise plus au bien-être des citoyens, mais à l’optimisation de l’efficacité technique. Ainsi les penseurs de l’école de Francfort montreront-ils que la technique devient un mode de gestion des sociétés humaines, un guide pour les gouvernements. Le progrès technique ne conduit-il pas alors à un gouvernement par la technique qui contreviendrait aux objectifs de justice et de démocratie ?
Jürgen Habermas, La Technique et la Science comme « idéologie » (1968)
C’est ainsi que le philosophe allemand Jürgen Habermas (1929-), philosophe de la seconde génération de l’Ecole de Francfort, voit dans les sciences et les techniqeus une manifestation et une légitimation de la rationalité propre au capitalisme. Le concept de rationalité est repris de la définition de Max Weber : type d’activité rationnelle par rapport à une fin qui caractérise la forme de l’activité économique, la forme bourgeoise des échanges au niveau du droit privé et la forme bureaucratique de la domination. Il y a une extension des domaines de la société soumis aux critères de décision rationnelle (industrialisation du travail social, urbanisation des modes de vie, technicisation des communications), une institutionnalisation du progrès scientifique et technique, les sciences et les techniques investissent la société et transforment les institutions. Science et technique sont alors des instruments de domination de l’homme par l’homme et ce d’autant plus, à une époque où l’information, qui est au fondement de la démocratie, est elle-même devenue un produit de la technique. On assiste à une forme inavouée de domination politique par la rationalité technique. C’est aussi la thèse d’Herbert Marcuse (1898-1979), membre lui aussi de l’Ecole de Francfort, et qui inspirera la conception d’Habermas. L’homme et la société sont en effet réduits à n’être que des rouages de l’appareil technologique. Il y a un risque pour la démocratie : la technocratie.
Réduction utilitariste et techniciste qui met en péril la décision démocratique.L’homme ne doit pas être un simple moyen au service de la technique et l’orientation pratique des sociétés ne doit pas suivre simplement les impératifs économiques et techniques.
De même, les défis posés par le développement des techniques et leur emprise sur la société, nous obligent à inventer de nouvelles pratiques démocratiques dans l’espace public (pratiques du débat, de l’enquête et de la consultation des citoyens concernés) pour répondre aux dangers d’un gouvernement par la technique. Mais il est aussi important de ressaisir les promesses de la technique dans une culture plus large qui fasse une place non seulement à la production et à l’utilité, mais aussi à la création et à l’art.
Quelle peut être la solution selon ces penseurs de l’Ecole de Francfort ? Ils nous invitent à repenser la technologie et la science afin de ne plus prendre la nature ou l’homme pour objet, mais pour partenaire : il s’agit donc de proposer des principes qui permettraient de respecter la nature et non de l’épuiser, de même de fonder des principes de débat et de consensus entre les hommes afin d’échapper à la raison technique pour entrer dans ce qu’Habermas nomme la « raison communicationnelle ». Il nous suffit de prendre l’exemple, d’une part du Principe Responsabilité de Jonas, et, d’autre part, d’envisager l’impératif démocratique de débats, l’éthique du dialogue et de la participation citoyenne à la prise de décision pour comprendre ce que l’on peut vouloir dire par là !
Cette nécessité d’une raison dialogique qui puisse guider l’inventivité technique ne peut être effective que si l’on permet à chacun de s’informer librement et pleinement, et à tous de participer à l’échange. Ce n’est qu’à cette condition que les individus pourront se constituer en public et décider démocratiquement du devenir des techniques. Il s’agit aussi de constituer un espace poltiique : espace d’expériences et de débats. Habermas, quant à lui, a construit une éthique de la discussion qui est aussi une théorie de l’activité de la communication. Ma raison pratique et communicationnelle répond d’un ensemble de pratiques dans lesquelles le citoyen devient acteur des délibérations.
Il s’agit donc d’inventer des techniques de gestion du risque technologique, mais des techniques démocratiques, des pratiques de dialogue et d’information citoyennes. Le nouvel impératif qui s’impose à celui qui veut dépasser les apories du monde technologique est donc démocratique. Pour ne pas réduire l’homme à n’être qu’un moyen pour la technologie, il s’agit de lui rendre la parole. Ainsi, il sera possible de reprendre le contrôle de l’avancée technologique, de comprendre le progrès technique autrement que comme domination de la nature et des hommes.
Conclusion (la technique)
La culture comprend donc la technique comme moyen pour l'homme de transformer le monde à son image par son travail. Mais nous l'avons vu cette technique est aussi porteuse d'une promesse de progrès qui peut s'avérer dangereuse quand elle devient une volonté de domination. Les techniques nous donnent aujourd'hui un grand pouvoir sur la nature, mais elles nous donnent aussi et par là même une grande responsabilité ! Si les actions humaines peuvent changer le monde, elles peuvent ausso mettre en péril les équilibres écologiques nécessaires à la vie. Il faut donc sans doute adopter de novelles règles éthiques, de nouveaux principes moraux capables de nous orienter dans l'usage des techniques (Jonas).
Mais au-delà de l'effet des techniques sur l'environnement, nous devons aussi mesurer leurs effets sur l'homme. En effet, comme le soulignait déjà Marx, les techniques modernes ont profondément modifié le travail, par la mécanisation et l'industrialisation. Nous faisons face à une perte de sens du travail qui accompagne une certaine perte de maîtrise de son travail. Serait-ce parce que les techniques sont porteuses d'une idéologie néfaste pour l'humanité ? Une idéologie qui imposerait ses propres buts à l'activité humaine. Il s'agit donc de remettre la technique au service de la société.
Pourtant, fonder cette nécessaire réflexion morale et politique sur un rejet de la technique et de sa volonté de domination serait sans doute à nouveau une erreur. En effet, la technique et les sciences font partie de la culture et sont l'expression de la créativité humaine. L'homo faber est et demeure un producteur d'outils, un être de technique. Selon Gilbert Simondon (1924-1989), on peut considérer que cette vision défensive de la culture face à la technoscience est une erreur liée à l’incompréhension de ce qu’il nomme le mode d’existence de l’objet technique. Il est important, selon lui, de comprendre que la technique est un mode d’être-au-monde de l’homme, comme le sont les sciences, la morale ou la religion. C’est-à-dire que la technique est aussi porteuse de sens pour l’homme, elle constitue aussi un rapport fructueux avec notre environnement et en dévoile une part des richesses et de la vérité aussi valable que les autres.
Pourtant, si la technique fait partie de la culture au même titre que les autres dimensions de notre rapport au monde, il demeure essentiel de contenir les prétentions hégémoniques des technologies et d’inventer des dispositifs démocratiques de contrôle de l’innovation technique.Ne serait-ce que par la puissance de transformation et de destruction qu’elle nous donne, la technique n’est pas innocente.
Mais ne peut-on repenser la place de la technique dans la société et la réintégrer dans un processus culturel d’ensemble ? Le pouvoir technique n’est pas une fin, mais un moyen. Il faut redonner sa véritable place à la technique dans la société et dans la nature : celle de médiateur. Il faut réintégrer la technique dans la culture et non l’opposer à la culture authentique. Il faut la repenser comme moyen, comme augmentation du pouvoir de l’homme. Ce pouvoir est un pouvoir de création. La technique apparaît comme moyen de création, comme médiateur entre la nature et la culture, entre l’homme et son environnement. Elle n’est plus une fin et l’homme demeure, comme le souligne Simondon, le « chef d’orchestre » dans le concert des machines.
Si la technique fait partie de la culture, elle le fait bien selon un mode qui diffère désormais de l’œuvre d’art. Si l’art et la technique transforment elles-deux le monde naturel, la matière, et lui impriment la marque de la créativité humaine, n’est-ce pas cependant selon des finalités qui divergent ?
Pourtant, l’art ne peut se penser non plus sans les techniques qui l’alimentent et lui permettent de réaliser des œuvres d’art. Comment penser le rapport entre ces deux agir humains ?Pour redonner sa place à la technique, il faut la penser à partir de l’idée de création et d’expérience… C’est ce que nous tenterons de faire en étudiant la question de l’œuvre d’art…
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