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La Vérité (partie 2)
2. La science permet-elle de réconcilier la raison et l’expérience et de dépasser la croyance ?
La recherche de la vérité nous a conduit à privilégier l’élaboration d’une méthode, véritable technique de mise à l’épreuve de la véracité du discours, des propositions formulées. Cette méthode correspond à un certain nombre de critères qui confrontent la perception et le jugement que nous portons sur elle. Nous avons ainsi établi que la vérité se trouvait dans les rapports entre le réel et le rationnel, entre la raison et l’expérience.
Il nous apparaît, au terme de l’exploration de cette notion de vérité, que la méthode la plus à même d’établir des certitudes dans nos connaissance est la méthode scientifique.
La science serait donc le modèle de recherche de la connaissance, de la vérité. Mais comment définir précisément ce modèle ? Quels sont ses modalités ? Et ne faut-il pas distinguer, comme nous l’avons déjà aperçu, les sciences « pures » des sciences appliquées ?
Comment définir d’abord la science ?
Si elle désigne d’abord toute connaissance (étymologie verbe scire = savoir), la science au sens moderne désigne une connaissance rationnelle, certaine et universelle, une connaissance établie par démonstration ou par expérimentation. La science peut être définie comme un idéal de connaissance vraie de la réalité des choses, cette connaissance est ce que vise tout effort scientifique. Cet effort obéit à une méthode qu’il nous appartient de définir.
La méthode scientifique s’établit, d’une part, sur l’exigence de démonstration et, d’autre part, sur un dispositif d’expérimentation. Comment s’articulent ces deux exigences ?
a) La démonstration comme preuve
La volonté de démontrer est apparue en Grèce antique, aussi bien dans le domaine mathématique que dans celui de la logique. Les Éléments d’Euclide constituent le premier traité de mathématiques et de géométrie qui établit les bases des raisonnements scientifiques dans ces domaiens. À partir des définitions, axiomes, postulats et notions communes qui sont les propositions premières (non démontrées), et par déduction, on démontre des théorèmes qui pourront à leur tour servir dans la démonstration d’autres théorèmes.
Quels sont les critères de la démonstration scientifique ? Une démonstration est une procédure, une exposition discursive qui engage un raisonnement qui produit et valide l’hypothèse. La définition classique de la démonstration scientifique est depuis Aristote celle d’un type de raisonnement basé sur des principes premiers, des prémisses, et conduisant à la déduction de nouvelles propositions, établies par opération logique de raisonnement tel que le syllogisme. C’est donc avant tout une opération de la raison, un raisonnement déductif qui rassemble ou sépare, qui classe et hiérarchise les éléments dans des catégories. Une démonstration sera donc valable si elle répond à des critères de cohérence interne, si ses propositions découlent les unes des autres. Le syllogisme est le modèle du raisonnement déductif et de la démonstration ; il permet à partir de deux prémisses vraies de démontrer la validité d'une troisième proposition.
Exemple de syllogisme :
- Tous les hommes sont mortels
- Or Socrate est un homme
- Donc Socrate est mortel
Mais le syllogisme doit, pour être valable, respecter des règles formelles précises qui correspondent à une spécification des termes donnés. En effet, c'est un raisonnement qui permet de faire des liens entre des propositions, de rapporter une affirmation à une autre, mais pour cela, il faut que les termes des propositions soient hiérarchisés. Nous avons tous en tête ces exemples de faux syllogismes qui conduisent à des conclusions absurdes. Par exemple, Ionesco dans sa pièce de théâtre Rhinocéros propose celui-ci : "Tout chat est mortel ; Or Socrate est mortel ; donc Socrate est un chat". D'où vient l'erreur dans ce raisonnement ? Les termes d'un syllogismes sont classés en fonction de leur "extension", c'est-à-dire en fonction de la grandeur de l'ensemble qu'ils expriment. Ainsi il faut partir d'une prémisse rapportant un terme moyen (les hommes) à un terme majeur (mortels), pour ensuite rapporter un terme mineur (Socrate) au terme moyen et en conclure son appartenance au terme majeur. Le cas particulier - Socrate - faisant partie de l'ensemble moyen - Hommes -, il fait nécessairement partie de l'ensemble majeur - Mortels - puisque celui-ci comprend l'ensemble moyen ! On conclut donc à partir de prémisses ordonnées et hiérarchisées, ce qui n'est pas le cas avec les "faux syllogismes" ou les "sophismes".
Ainsi le syllogisme est l'exemple même et le modèle de toute opération de démonstration.
Cependant, on peut reprocher à cette conception de la démonstration comme preuve de la validité des jugements, des assertions, son caractère statique. En effet, que nous permet de déduire le syllogisme si ce n’est une connaissance que nous possédions déjà. Si nous rapportons une proposition à une autre grâce à un moyen terme, c’est que nous avons déjà connaissance de la hiérarchie des êtres et que nous connaissons donc déjà ce que nous démontrons. C’est la critique que fera Descartes dans le Discours de la méthode : « [P]our la logique, ses syllogismes et la plupart de ses autres instructions servent plutôt à expliquer à autrui les choses qu’on sait. »
Pour Descartes, la logique n’est pas suffisante pour la recherche de la vérité, pour la production de la connaissance. Il faut privilégier la méthode dans la recherche de la vérité. La méthode nous permet de découvrir une vérité qui n’était pas déjà là, qu’il s’agit de faire apparaître par l’usage méthodique de la raison (la règle de l'évidence, la règle de la division, la règle de l'ordre et la règle du dénombrement). Il faut, nous l’avons vu, partir des évidences premières, évidences d’intuition (idées claires et distinctes) pour construire un raisonnement à partir de celles-ci. La démonstration part de l’intuition de certitudes premières indémontrables. C’est aussi ce que nous dit Pascal dans L’Esprit de géométrie qui voit dans la mathématique, la géométrie, le moyen le plus sûr de découvrir la vérité et de la démontrer : il ne faut employer aucun terme qui ne soit précisément défini, et n’affirmer que ce que l’on peut démontrer à partir de vérités déjà connue. Cependant, il est des termes que nous ne pouvons pas définir et dont aucune démonstration n’est possible, mais que nous connaissons par intuition.
Si donc la démonstration est une preuve, elle est seulement une preuve formelle, sans contenu. Elle ne nous permet pas, semble-t-il, de découvrir de nouvelles vérités par la logique, ou de prouver les prémisses de nos raisonnements.
La critique de la raison conduite par Emmanuel Kant (1724-1804) va montrer que la méthode géométrique n'a de sens qu'en mathématiques : la définition du triangle me dit ce qu'est un triangle, mais pas s'il existe réellement quelque chose comme un triangle. La méthode géométrique est donc incapable de passer de la définition à l'existence. La démonstration logique, mathématique ou géométrique n’a valeur de preuve que si l’on prend pour objet des concepts abstraits (les nombres, les formes géométriques), elle ne peut prouver l’existence de ses objets.
En mathématiques, cela n’a pas d’importance puisqu’il ne s’agit pas de démontrer que les triangles existent ou que les axiomes mathématiques ont une existence. Mais étendre la méthode mathématique de démonstration aux autres domaines, en faire une preuve de l’existence des objets dont on s’occupe est une erreur, une illusion. Ainsi, Kant nous montre que le seul moyen à notre portée pour savoir si un objet correspond au concept que nous en avons, c’est l’expérience sensible. Au-delà de cette expérience sensible, nous ne pouvons connaître ni démontrer.
Pourtant, la démonstration ne nous permet-elle pas de tester la validité des théories qui, elles, se rapportent au réel ?
Qu’est-ce qu’une théorie ?
Une théorie est un ensemble cohérent et systématique de propositions qui permettent d’expliquer les phénomènes d’un domaine donné. La théorie scientifique est ainsi un système conceptuel abstrait, il vise à rendre compte d’un domaine d’expérience. Pourtant, il n’est pas toujours directement le reflet de cette expérience, il en donne plutôt une explication possible.
Dans quelle mesure l’expérience valide-t-elle les théories scientifiques, si celles-ci sont de libres créations de l’esprit et si la réalité est comparable à une montre fermée ? Quelle valeur accorder à la vérité scientifique ? La vérité ne serait qu’un idéal visé par la théorie. Mais alors comment choisir la théorie scientifique qui s’approche le plus de la vérité ? Il faut mettre en œuvre un dispositif permettant de tester la théorie, de la mettre en pratique.
b) L'expérience est-elle nécessaire à la science ?
L’expérimentation rompt avec la thèse classique selon laquelle la science naît de la simple observation des faits, observation dont on tire des lois, les lois physiques, les lois de la nature. Les faits ne parlent pas d’eux-mêmes, il faut les confronter à la raison. De même, la théorie ne peut être validée que si on la confronte à l’expérience, mais à « une expérience raisonnée ». L’expérience scientifique semble donc bien répondre à notre interrogation portant sur les rapports entre la raison et l’expérience dans la recherche de la vérité.
NB: Distinguer expérience et expérience scientifique ou expérimentation.
Expérience = le monde tel qu’il nous apparaît. Nous pourrions parler alors d’expérience sensible.
Expérience scientifique ou Expérimentation = attitude volontaire du savant qui crée artificiellement des conditions d’observation afin d’isoler un phénomène et confirmer ou infirmer une hypothèse théorique.
L’expérience scientifique est une expérimentation active, elle conduit à l’élaboration d’un dispositif expérimental visant à tester la validité de la théorie, des hypothèses formulées. S’il n’y a pas de théorie scientifique sans confirmation expérimentale, il n’y a pas non plus d’expérience scientifique sans théorie qui la guide. La science expérimentale réalise cette mise en rapport de la Raison et de l’Expérience qui est une source efficace de vérité.
Claude Bernard (1813-187), médecin qui établit précisément les principes de la méthode expérimentale, résume cet impératif ainsi : « L’hypothèse expérimentale n’est que l’idée scientifique, préconçue ou anticipée. La théorie n’est que l’idée scientifique contrôlée par l’expérience. »
Il convient de distinguer l’observation de l’expérimentation : cette dernière provoque l’expérience sur la base d’une hypothèse. La nature « répond » ainsi aux questions qu’on lui pose, et ces réponses ne peuvent se comprendre que dans un système théorique établi à l’avance.
On le voit, l’expérimentation scientifique vise à répondre à la fois aux exigences de la raison et de l’expérience en confrontant les hypothèses à l’ensemble des faits, au moyen d’un dispositif contrôlé. Il s’agit d’une confrontation de la théorie avec la réalité. On peut parler de construction d’une vérité par l’expérimentation. Mais nous pourrons nous poser la question de savoir si cette interrogation de la réalité, cette interprétation scientifique du réel, rend compte de toutes ses dimensions, de toute sa richesse.
Un exemple de la méthode expériementale : Semmelweiss et la naissance de l'hygiène
L’expérimentation apparaît finalement comme le seul critère de scientificité possible, notamment concernant les sciences appliquées. Elle permet de passer d’une connaissance subjective à une connaissance objective. Grâce à la vérification, la science est donc un modèle d’objectivité, ce qui permet à la communauté scientifique de s’accorder entre elle sur un certain nombre de points quand ils ont été prouvés expérimentalement. L’expérience est alors le critère d’objectivité déterminant. Cependant, est-elle suffisante pour en induire l’universalité des connaissances ainsi acquises. C’est notamment ce que relèvera David Hume (1711-1776) pour lequel rien ne nous permet de passer de l’observation répétée de phénomènes à l’affirmation de l’universalité de ces phénomènes. C’est pour lui une question d’habitude, on ne peut justifier rationnellement ce passage du singulier à l’universel. Ce problème de la légitimité de la vérité objective obtenue par la science expérimentale trouve une solution dans la théorie de la réfutabilité qui complète celle de la vérifiabilité présentée.
Ainsi, selon Karl Popper (1902-1994), le principe déterminant qui permet de départager la science de ce qui n’est pas de la science, c’est celui de falsifiabilité. La falsifiabilité est la réfutabilité : c’est-à-dire qu’une théorie scientifique doit comprendre en elle-même les critères de sa réfutation, par une expérience ou une observation. Un énoncé est falsifiable « si la logique autorise l’existence d’un énoncé ou d’une série d’énoncés d’observation qui lui sont contradictoires, c’est-à-dire, qui la falsifieraient s’ils se révélaient vrais ». Ainsi, il s’oppose aux prétentions scientifiques aussi bien du Marxisme que de la psychanalyse. Mais il annonce surtout qu’une grande partie du travail du scientifique est de déterminer les critères de réfutabilité de sa théorie. L’idéal du chercheur est pour Popper celui d’un scientifique qui définit a priori les critères de réfutabilité de son hypothèse et part à la recherche de faits susceptibles de prouver la fausseté de son hypothèse.
Karl Popper avance qu’on ne peut jamais vérifier une théorie scientifique, jamais dire qu’elle est absolument vraie. On peut seulement la falsifier ou la réfuter. C’est-à-dire, montrer à partir de certains faits que telle théorie est fausse. Une théorie peut donc être acceptée jusqu’à ce que des faits nouveaux viennent l’infirmer.
« Des idées audacieuses, des anticipations injustifiées et des spéculations constituent notre seul moyen d’interpréter la nature, notre seul outil, notre seul instrument pour la saisir. Nous devons nous risquer à les utiliser pour remporter le prix. Ceux parmi nous qui refusent d’exposer leurs idées au risque de la réfutation ne prennent pas part au jeu scientifique. »
Cette conception de la science a été inspirée à Popper par Einstein : « Ce qui m'a impressionné le plus, note Popper à propos d'Einstein, est qu'il considérait sa théorie comme insoutenable si elle ne résistait pas à l'épreuve de certains tests. » L'attitude scientifique est ainsi l'attitude critique qui ne cherche pas des vérifications mais des tests cruciaux, des tests qui peuvent réfuter l’hypothèse avancée.
« Les théories sont des filets destinés à capturer ce que nous appelons “ le monde” ; à le rendre rationnel, l'expliquer et le maîtriser. Nous nous efforçons de resserrer de plus en plus les mailles. » Logique de la découverte scientifique.
Conclusion
La science progresse plus par réfutation que par accumulation de vérités, l’expérimentation est le critère de vérité des sciences. En ce sens, rien ne remplace l’expérience mais l’expérience construite, soutenue par une théorie.
Cependant, la vérité établie par la science, même si elle ne peut plus être pensée comme définitive, vise tout de même l’universalité. L’objectivité et l’universalité sont les caractéristiques de la vérité scientifique, c’est-à-dire que cela constitue le type de vérité que la science vise. L’effort de la raison consiste encore donc à échapper à la croyance et à l’opinion en visant à une vérité universelle, c’est en tout cas ce qui oriente son effort et ce qu’elle entend produire comme « effet de vérité ».
Mais l’expérimentation permet aussi d’aborder un autre plan de la méthode scientifique de validation de théories en ce qu’elle introduit à l’idée d’une efficacité. Les expérimentations nous permettent d’agir de plus en plus efficacement sur le monde, c’est ce que nous verrons quand nous aborderons le thème de la technique. On mesure le progrès technique à la capacité d’agir sur le monde et une théorie est d’autant plus vraie qu’elle est performante.
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