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G. Bataille - L'homme est l'être naturel qui nie la nature
Par
sgarniel
Le 25/03/2020
« Je pose en principe un fait peu contestable : que l'homme est l'animal qui n'accepte pas simplement le donné naturel, qui le nie.
Il change ainsi le monde extérieur naturel, il en tire des outils et des objets fabriqués qui composent un monde nouveau, le monde humain. L'homme parallèlement se nie lui-même, il s'éduque, il refuse par exemple de donner à la satisfaction de ses besoins animaux ce cours libre, auquel l'animal n'apportait pas de réserve. Il est nécessaire encore d'accorder que les deux négations, que, d'une part, l'homme fait du monde donné et, d'autre part, de sa propre animalité, sont liées. Il ne nous appartient pas de donner une priorité à l'une ou à l'autre, de chercher si l'éducation (qui apparaît sous la forme des interdits religieux) est la conséquence du travail, ou le travail la conséquence d'une mutation morale. Mais en tant qu'il y a homme, il y a d'une part travail et de l'autre négation par interdits de l'animalité de l'homme. »
Georges Bataille – L’Erotisme (1957)
D. Hume - D'où vient l'idée du Moi ?
Par
sgarniel
Le 24/03/2020
« Il est des philosophes qui imaginent que nous sommes à chaque instant intimement conscients de ce que nous appelons notre moi, que nous en sentons l’existence et la continuité d’existence, et que nous sommes certains, avec une évidence qui dépasse celle d’une démonstration, de son identité et de sa simplicité parfaites. […] Tenter d’en trouver une preuve supplémentaire serait en atténuer l’évidence, puisqu’on ne peut tirer aucune preuve d’un fait dont nous sommes si intimement conscients, et que nous ne pouvons être sûrs de rien si nous en doutons.
Malheureusement toutes ces affirmations positives sont contraires à cette expérience même que l’on invoque en leur faveur et nous n’avons aucune idée du moi de la manière qu’on vient d’expliquer. De quelle impression, en effet, cette idée pourrait-elle provenir ? Il est impossible de répondre à cette question sans une contradiction et une absurdité manifestes et pourtant, c’est une question qui doit trouver une réponse si nous voulons que l’idée du moi passe pour claire et intelligible. Toute idée réelle doit provenir d’une impression particulière. Mais le moi, ou la personne, ce n’est pas une impression particulière, mais ce à quoi nos diverses idées et impressions sont censées se rapporter.
[…] Pour moi, quand je pénètre le plus intimement dans ce que j’appelle moi-même, je tombe toujours sur une perception particulière ou sur une autre, de chaleur ou de froid, de lumière ou d’ombre, d’amour ou de haine, de douleur ou de plaisir. Je ne parviens jamais, à aucun moment, à me saisir moi-même sans une perception et je ne peux jamais rien observer d’autre que la perception. Quand mes perceptions sont absentes pour quelque temps, quand je dors profondément, par exemple, je suis, pendant tout ce temps, sans conscience de moi-même et on peut dire à juste titre que je n’existe pas. Et si toutes mes perceptions étaient supprimées par la mort, si je ne pouvais plus penser, ni éprouver, ni voir, aimer ou haïr après la destruction de mon corps, je serais entièrement anéanti et je ne conçois pas du tout ce qu’il faudrait de plus pour faire de moi une parfaite non-entité. »
David Hume, Traité de la nature humaine (1739)
R. Descartes - La découverte du Cogito
Par
sgarniel
Le 24/03/2020
« Je suppose donc que toutes les choses que je vois sont fausses; je me persuade que rien n'a jamais été de tout ce que ma mémoire remplie de mensonges me représente; je pense n'avoir aucun sens; je crois que le corps, la figure, l'étendue, le mouvement et le lieu ne sont que des fictions de mon esprit. Qu'est-ce donc qui pourra être estimé véritable ? Peut-être rien autre chose, sinon qu'il n'y a rien au monde de certain.
Mais que sais-je s'il n'y a point quelque autre chose différente de celles que je viens de juger incertaines, de laquelle on ne puisse avoir le moindre doute ? N'y-a-t-il point quelque Dieu, ou quelque autre puissance, qui me met en l'esprit ces pensées ? Cela n'est pas nécessaire, car peut-être que je suis capable de les produire de moi-même. Moi donc à tout le moins ne suis-je pas quelque chose ? Mais j'ai déjà nié que j'eusse aucun sens ni aucun corps. J'hésite néanmoins, car que s'ensuit-il de là ? Suis-je tellement dépendant du corps et des sens que je ne puisse être sans eux ?
Mais je me suis persuadé qu'il n'y avait rien du tout dans le monde, qu'il n'y avait aucun ciel, aucune terre, aucuns esprits, ni aucuns corps ; ne me suis-je donc pas aussi persuadé que je n'étais point ? Non certes, j'étais sans doute, si je me suis persuadé, ou seulement si j'ai pensé quelque chose. Mais il y a un je ne sais quel trompeur très puissant et très rusé, qui emploie toute son industrie à me tromper toujours. Il n'y a donc point de doute que je suis, s'il me trompe; et qu'il me trompe tant qu'il voudra, il ne saurait jamais faire que je ne sois rien, tant que je penserai être quelque chose. De sorte qu'après y avoir bien pensé, et avoir soigneusement examiné toutes choses, enfin il faut conclure, et tenir pour constant que cette proposition : Je suis, j'existe, est nécessairement vraie, toutes les fois que je la prononce ou que je la conçois en mon esprit. »
René Descartes - Méditations métaphysiques, « Méditation seconde » (1641)
Aristote - Le but de la politique est le souverain bien
Par
sgarniel
Le 23/03/2020
" Si donc il y a, de nos activités, quelque fin que nous souhaitons par elle-même, et les autres seulement à cause d'elle, et si nous ne choisissons pas indéfiniment une chose en vue d'une autre (car on procéderait ainsi à l'infini, de sorte que le désir serait futile et vain), il est clair que cette fin-là ne saurait être que le bien, le Souverain Bien.
N'est-il pas vrai dès lors que, pour la conduite de la vie, la connaissance de ce bien est d'un grand poids, et que, semblables à des archers qui ont une cible sous les yeux, nous pourrons plus aisément atteindre le but qui convient ? S'il en est ainsi, nous devons essayer d'embrasser, tout au moins dans ses grandes lignes, la nature du Souverain Bien, et de dire de quelle science particulière ou de quelle potientalité il relève. On sera d'avis qu'il dépend de la science suprême et architectonique par excellence.
Or une telle science est manifestement la Politique, car c'est elle qui dispose quelles sont parmi les sciences celles qui sont nécessaires dans les cités, et quelles sortes de sciences chaque classe de citoyens doit apprendre, et jusqu'à quel point l'étude en sera poussée ; et nous voyons encore que même les potentialités les plus appréciées sont subordonnées à la Politique : par exemple la stratégie, l'économique, la rhétorique. Et puisque la Politique se sert des autres sciences pratiques, et qu'en outre elle légifère sur ce qu'il faut faire et sur ce dont il faut s'abstenir, la fin de cette science englobera les fins des autres sciences ; d'où il résulte que la fin de la Politique sera le bien proprement humain.
Même si, en effet, il y a identité entre le bien de l'individu et celui de la cité, de toute façon c'est une tâche manifestement plus importante et plus parfaite d'appréhender et de sauvegarder le bien de la cité : car le bien est assurément aimable même pour un individu isolé, mais il est plus beau et plus divin appliqué à une nation ou à des cités.
Aristote, Ethique à Nicomaque (IVe siècle av. JC)
D. Hume - Peut-on être heureux seul ?
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sgarniel
Le 22/03/2020
« Dans toutes les créatures qui ne font pas des autres leurs proies et que de violentes passions n'agitent pas, se manifeste un remarquable désir de compagnie, qui les associe les unes les autres. Ce désir est encore plus manifeste chez l’homme : celui-ci est la créature de l'univers qui a le désir le plus ardent d'une société [...]. Nous ne pouvons former aucun désir qui ne se réfère pas à la société. La parfaite solitude est peut-être la plus grande punition que nous puissions souffrir. Tout plaisir est languissant quand nous en jouissons hors de toute compagnie, et toute peine devient plus cruelle et plus intolérable.
Quelles que soient les autres passions qui nous animent, [...], le principe de toutes, c'est la sympathie [...]. Faites que tous les pouvoirs et tous les éléments de la nature s'unissent pour servir un seul homme et pour lui obéir ; faites que le soleil se lève et se couche à son commandement ; que la mer et les fleuves coulent à son gré ; que la terre lui fournisse spontanément ce qui peut lui être utile et agréable : il sera toujours misérable tant que vous ne lui aurez pas donné au moins une personne avec qui il puisse partager son bonheur, et de l'estime et de l'amitié de qui il puisse jouir. »
David Hume, Traité de la nature humaine (1740)
Epictète - La morale stoïcienne
Par
sgarniel
Le 22/03/2020
« I- De toutes les choses du monde, les unes dépendent de nous, les autres n'en dépendent pas. Celles qui en dépendent sont nos opinions, nos mouvements, nos désirs, nos inclinations, nos aversions ; en un mot, toutes nos actions.
II. Celles qui ne dépendent point de nous sont le corps, les biens, la réputation, les dignités ; en un mot, toutes les choses qui ne sont pas du nombre de nos actions.
III. Les choses qui dépendent de nous sont libres par leur nature, rien ne peut ni les arrêter, ni leur faire obstacle ; celles qui n'en dépendent pas sont faibles, esclaves, dépendantes, sujettes à mille obstacles et à mille inconvénients, et entièrement étrangères.
IV. Souviens-toi donc que, si tu crois libres les choses qui de leur nature sont esclaves, et propres à toi celles qui dépendent d'autrui, tu rencontreras à chaque pas des obstacles, tu seras affligé, troublé, et tu te plaindras des dieux et des hommes. »
Epictète, Manuel (125 ap. JC)
Par
sgarniel
Le 22/03/2020
« Partant, quand nous disons que le plaisir est le but de la vie, il ne s’agit pas des plaisirs déréglés ni des jouissances luxurieuses ainsi que le prétendent encore ceux qui ne nous connaissent pas, nous comprennent mal ou s’opposent à nous. Par plaisir, c’est bien l’absence de douleur dans le corps et de trouble dans l’âme qu’il faut entendre. Car la vie de plaisir ne se trouve point dans d’incessants banquets et fêtes, ni dans la fréquentation de jeunes garçons et de femmes, ni dans la saveur des poissons et des autres plats qui ornent les tables magnifiques, elle est dans la tempérance, lorsqu’on poursuit avec vigilance un raisonnement, cherchant les causes pour le choix et le refus, délaissant l’opinion, qui avant tout fait le désordre de l’âme. »
Épicure, Lettre à Ménécée (IV-IIIème siècle av. JC)
K. Popper - Peut-on faire le bonheur des autres ?
Par
sgarniel
Le 22/03/2020
« Substituer au gouvernement par la raison le gouvernement par l'amour, c'est ouvrir la voie au gouvernement par la haine, comme Socrate semble l'avoir entrevu quand il dit que la méfiance en la raison ressemble à la méfiance envers l'homme. L'amour n'est ni une garantie d'impartialité, ni un moyen d'éviter les conflits, car on peut différer sur la meilleure manière d'aimer, et plus l'amour est fort, plus fort sera le conflit. Cela ne veut pas dire que l'amour et la haine doivent être placés sur le même plan, mais seulement que nul sentiment, fût-ce l'amour, ne peut remplacer le recours à des institutions fondées sur la raison.
Le règne de l'amour présente d'autres dangers. Aimer son prochain, c'est vouloir le rendre heureux. Mais vouloir le bonheur du peuple est, peut-être, le plus redoutable des idéaux politiques, car il aboutit fatalement à vouloir imposer aux autres une échelle de valeurs supérieures jugées nécessaires à ce bonheur. On verse ainsi dans l'utopie et le romantisme ; et, à vouloir créer le paradis terrestre, on se condamne inévitablement à l'enfer. De là l'intolérance, les guerres de religion, l'inquisition, avec, à la base, une conception foncièrement erronée de nos devoirs. Que nous ayons le devoir d'aider ceux qui en ont besoin, nul ne le conteste ; mais vouloir le bonheur des autres, c'est trop souvent forcer leur intimité et attenter à leur indépendance. »