Articles de sgarniel
Aristote - Les actes volontaires
« Après avoir fixé les limites de ce qui est volontaire et involontaire, il nous reste à parler du choix réfléchi. C'est, semble-t-il, un caractère essentiellement propre à la vertu et permettant, mieux que les actes, de porter un jugement sur la valeur morale. Ce choix paraît bien dépendre de la volonté, sans s'identifier cependant avec elle, la volonté ayant une plus vaste extension. Car les enfants et les autres êtres vivants sont capables d'agir volontairement, mais non pas avec choix délibéré. De plus, les actes soudains sont, comme nous le disons, exécutés volontairement, mais non de choix délibéré.
D'autre part, ceux qui identifient ce choix avec le désir, avec l'ardeur de la sensibilité, avec la volonté de la fin ou avec l'opinion ne semblent pas s'exprimer correctement. Car le choix n'a rien de commun avec les êtres dépourvus de raison, capables cependant de désir et de mouvements du cœur. »
Aristote, Ethique à Nicomaque (IVe s. av JC)
R. Descartes - Qu'est-ce que le Libre-Arbitre ?
« [La liberté de la volonté] consiste seulement en ce que nous pouvons faire une chose, ou ne la faire pas (c’est-à-dire affirmer ou nier, poursuivre ou fuir), ou plutôt seulement en ce que, pour affirmer ou nier, poursuivre ou fuir les choses que l’entendement nous propose, nous agissons en telle sorte que nous ne sentons point qu’aucune force extérieure nous y contraigne.
Car, afin que je sois libre, il n’est pas nécessaire que je sois indifférent à choisir l’un ou l’autre des deux contraires ; mais plutôt, d’autant plus que je penche vers l’un, soit que je connaisse évidemment que le bien et le vrai s’y rencontrent, soit que Dieu dispose ainsi l’intérieur de ma pensée, d’autant plus librement j’en fais choix et je l’embrasse. Et certes la grâce divine et la connaissance naturelle, bien loin de diminuer ma liberté, l’augmentent plutôt et la fortifient. »
René Descartes, Méditations métaphysiques (1641)
L. Strauss - Contre le positivisme juridique
« Le besoin du droit naturel est aussi manifeste aujourd’hui qu’il l’a été durant des siècles et même des millénaires. Rejeter le droit naturel revient à dire que tout droit est positif, autrement dit que le droit est déterminé exclusivement par les législateurs et les tribunaux des différents pays. Or, il est évident qu’il est parfaitement sensé et parfois même nécessaire de parler de lois ou de décisions injustes. En passant de tels jugements, nous impliquons qu’il y a un étalon du juste et de l’injuste qui est indépendant du droit positif et lui est supérieur : un étalon grâce auquel nous sommes capables de juger le droit positif.
Bien des gens aujourd’hui considèrent que l’étalon en question n’est tout au plus que l’idéal adopté par notre société ou notre “civilisation” tel qu’il a pris corps dans ses façons de vivre ou ses institutions. Mais, d’après cette même opinion, toutes les sociétés policées ont leur idéal, les sociétés cannibales pas moins que les sociétés policées. Si les principes tirent une justification suffisante du fait qu’ils sont reçus dans une société, les principes du cannibale sont aussi défendables et aussi sains que ceux de l’homme policé.
De ce point de vue, les premiers ne peuvent être rejetés comme mauvais purement et simplement. Et puisque tout le monde est d’accord pour reconnaître que l’idéal de notre société est changeant, seule une triste et morne habitude nous empêcherait d’accepter en toute tranquillité une évolution vers l’état cannibale. »
Léo Strauss, Droit naturel et histoire (1953)
H. Kelsen - La validité du droit vient de sa cohérence
« Le rapport qu'on admet entre justice et droit joue un rôle décisif dans la question de savoir si le droit est valable, c'est-à-dire si ses normes doivent être appliquées et observées. Sur ce point il existe deux conceptions qui s'opposent diamétralement.
Selon la première, un droit positif ne peut être considéré comme valable que dans le cas et dans la mesure où il est créé en conformité avec l'exigence de justice. Le droit valable, c'est le droit juste ; un ordre injuste du comportement humain n'a pas de validité, et n'est pas le droit dans la mesure où droit ne peut signifier qu'ordre valable. C'est-à-dire que la validité de la norme de justice est le fondement de la validité du droit positif. Selon la seconde conception, la validité du droit positif ne dépend pas de la validité de la norme de justice. Un droit positif est valable, même s'il est injuste. Cela signifie, comme nous l'avons déjà constaté, qu'on ne peut pas présupposer une norme de justice comme valable si l'on considère comme valable une norme du droit positif dont la création ne correspond pas à la norme de justice. »
Hans Kelsen, Justice et droit naturel (1959)
N. Chomsky / M. Foucault - Justice contre Pouvoir
Extrait d’un entretien entre Noam Chomsky et Michel Foucault
Chomsky : […] Je crois que finalement il serait très raisonnable, la plupart du temps, d’agir contre les institutions légales d’une société donnée, si cela permettait d’ébranler les sources du pouvoir et de l’oppression dans la société. Cependant, dans une très large mesure, la loi existante représente certaines valeurs humaines respectables ; et, correctement interprétée, cette loi permet de contourner les commandements de l’Etat. Je pense qu’il est important d’exploiter ce fait et d’exploiter les domaines de la loi qui sont correctement définis, et ensuite peut-être agir directement contre ceux qui ne font que ratifier un système de pouvoir. […]
Foucault : C’est donc au nom d’une justice plus pure que vous critiquez le fonctionnement de la justice. […] Mais si la justice est en jeu dans un combat, c’est en tant qu’instrument de pouvoir ; ce n’est pas dans l’espoir que, finalement, un jour, dans cette société ou une autre, les gens seront récompensés selon leurs mérites, ou punis selon leurs fautes. Plutôt que de penser à la lutte sociale en termes de justice, il faut mettre l’accent sur la justice en termes de lutte sociale. […]
Chomsky : Je ne suis pas d’accord.
Foucault : On fait la guerre pour gagner, non parce qu’elle est juste.
Michel Foucault / Noam Chomsky, De la nature humaine (1974)
J. Rawls - La Justice comme Equité
« Dans la théorie de la justice comme équité, la position originelle d'égalité correspond à l'état de nature dans la théorie traditionnelle du contrat social. Cette position originelle n'est pas conçue, bien sûr, comme étant une situation historique réelle, encore moins une forme primitive de la culture. Il faut la comprendre comme étant une situation purement hypothétique, définie de manière à conduire à une certaine conception de la justice. Parmi les traits essentiels de cette situation, il y a le fait que personne ne connaît sa place dans la société, sa position de classe ou son statut social […].
Les principes de la justice sont choisis derrière un voile d'ignorance. Ceci garantit que personne n'est avantagé ou désavantagé dans le choix des principes par le hasard naturel ou par la contingence des circonstances sociales. Comme tous ont une situation comparable et qu'aucun ne peut formuler des principes favorisant sa condition particulière, les principes de la justice sont le résultat d'un accord ou d'une négociation équitable. […]
Je soutiendrai que les personnes placées dans la situation initiale choisiraient deux principes assez différents. Le premier exige l’égalité dans l’attribution des droits et des devoirs de base. Le second, lui, pose que des inégalités socio-économiques, prenons par exemple des inégalités de richesse et d’autorité, sont justes si et seulement si elles produisent, en compensation, des avantages pour chacun et, en particulier, pour les membres les plus désavantagés de la société. »