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E. Kant - L'éducation doit apprendre l'autonomie

Par Le 15/04/2020

« L’homme est la seule créature qui soit susceptible d’éducation. […] L'éducation doit donc, premièrement, discipliner les hommes. Les discipliner, c'est chercher à empêcher que ce qu’il y a d'animal en eux n'étouffe ce qu'il y a d'humain, aussi bien dans l'homme individuel que dans l'homme social. La discipline consiste donc simplement à les dépouiller de leur sauvagerie. Deuxièmement, elle doit les cultiver. La culture comprend l’instruction et les divers enseignements. C'est elle qui donne l'habileté. Celle-ci est la possession d'une aptitude suffisante pour toutes les fins qu'on peut avoir à se proposer. […] Troisièmement, il faut aussi veiller à ce que l'homme acquière de la prudence, à ce qu'il sache vivre dans la société de ses semblables de manière à se faire aimer et à avoir de l'influence. C'est ici que se place cette espèce de culture qu'on appelle la civilisation. Elle exige certaines manières, de la politesse et cette prudence qui fait qu'on peut se servir de tous les hommes pour ses propres fins. […] Quatrièmement, on doit enfin veiller à la moralisation. Il ne suffit pas en effet que l'homme soit propre à toutes sortes de fins ; il faut encore qu'il sache se faire une maxime de n'en choisir que de bonnes. [...]

On peut ou bien dresser, façonner, instruire l’homme d'une manière toute mécanique, ou bien l'éclairer véritablement. On dresse des chevaux, des chiens, et l'on peut aussi dresser des hommes. Il ne suffit pas de dresser les enfants ; il importe surtout qu'ils apprennent à penser. »

Emmanuel Kant, Traité de pédagogie (1803)

S. Freud - La culture limite nos passions

Par Le 15/04/2020

« L'homme n'est pas un être doux, en besoin d'amour, qui serait tout au plus en mesure de se défendre quand il est attaqué, mais au contraire il compte aussi à juste titre parmi ses aptitudes pulsionnelles une très forte part de penchant à l'agression. En conséquence de quoi, le prochain n'est pas seulement pour lui un aide et un objet sexuel possibles, mais aussi une tentation, celle de satisfaire sur lui son agression, d'exploiter sans dédommagement sa force de travail, de l'utiliser sexuellement sans son consentement, de s'approprier ce qu'il possède, de l'humilier, de lui causer des douleurs, de le martyriser et de le tuer. "Homo homini lupus" [l'homme est un loup pour l'homme] ; qui donc, d'après toutes les expériences de la vie et de l'histoire, a le courage de contester cette maxime ? [...]

L'existence de ce penchant à l'agression que nous pouvons ressentir en nous-mêmes, et présupposons à bon droit chez l'autre, est le facteur qui perturbe notre rapport au prochain et oblige la culture à la dépense qui est la sienne. Par suite de cette hostilité primaire des hommes les uns envers les autres, la société de la culture est constamment menacée de désagrégation. L’intérêt de la communauté de travail n’assurerait pas sa cohésion, les passions pulsionnelles sont plus fortes que les intérêts rationnels. Il faut que la culture mette tout en œuvre pour assigner des limites aux pulsions d'agression des hommes. »

Sigmund Freud, Le Malaise dans la culture (1929)

E. Durkheim - La fonction sociale de la religion

Par Le 15/04/2020

« Il y a donc dans la religion quelque chose d’éternel qui est destiné à survivre à tous les symbolismes particuliers dans lesquels la pensée religieuse s’est successivement enveloppée. Il ne peut pas y avoir de société qui ne sente le besoin d’entretenir et de raffermir, à intervalles réguliers, les sentiments collectifs et les idées collectives qui font son unité et sa personnalité. Or, cette réfection morale ne peut être obtenue qu’au moyen de réunions, d’assemblées, de congrégations où les individus, étroitement rapprochés les uns des autres, réaffirment en commun leurs communs sentiments ; de là, des cérémonies qui, par leur objet, par les résultats qu’elles produisent, par les procédés qui y sont employés, ne diffèrent pas en nature des cérémonies religieuses. Quelle différence essentielle y a-t-il entre une assemblée de chrétiens célébrant les principales dates de la vie du Christ, ou de juifs fêtant soit la sortie d’Egypte soit la promulgation du Décalogue, et une réunion de citoyens commémorant l’institution d’une nouvelle charte morale ou quelque grand évènement de la vie nationale ? »

Emile Durkheim, Les Formes élémentaires de la vie religieuse (1912)

Niki de Saint-Phalle et Tinguely - Bonnie & Clyde

Par Le 29/03/2020

Niki de Saint Phalle et Jean Tinguely se rencontrent à Paris en 1955, dans l'effervescence artistique de l'après-guerre. Ils ont 25 et 30 ans, sont tous deux mariés. Ils mettront cinq ans à tomber amoureux et à décider de vivre et créer ensemble, à l'aventure. Durant quarante ans, ce couple nomade n'a pas fait d'enfants, mais des sculptures, monumentales de préférence, partout dans le monde.

De l'Europe au Japon, leurs oeuvres ont su convertir un public immense, avec de sacrées machines (pour lui) et des créatures multicolores (pour elle). Avec de magnifiques archives et le témoignage de leurs proches, ce documentaire retrace leur vie et leur épopée artistique.

Documentaire (origineel) Franstalig
Les Bonnie & Clyde de l'Art 55' in ARTS CULTURE
Niki de Saint Phalle & Jean Tinguely

M. Heidegger - L'Art permet de rompre avec l'utilité

Par Le 29/03/2020

« Pourtant le sculpteur use bien de la pierre comme le fait, encore qu’à sa manière, le maçon. Mais il ne l’utilise pas. Cela n’arrive en un sens que lorsque l’œuvre échoue. De même, le peintre use bien de couleurs, mais de telle sorte que leur coloris non seulement n’est pas consommé, mais parvient par là-même à l’éclat.

Et le poète use bien de mots, mais non pas comme ceux qui parlent ou écrivent communément et, ainsi usent nécessairement les mots. Il en use de telle sorte que le mot devient et reste vraiment une parole. »

Martin Heidegger, « L’origine de l’œuvre d’art » (1949)

A. de Tocqueville - La passion pour l'égalité

Par Le 26/03/2020

« La première et la plus vive des passions que l’égalité des conditions fait naître, je n’ai pas besoin de le dire, c’est l’amour de cette même égalité. On ne s’étonnera donc pas que j’en parle avant toutes les autres.
Chacun a remarqué que, de notre temps, et spécialement en France, cette passion de l’égalité prenait chaque jour une place plus grande dans le cœur humain. On a dit cent fois que nos contemporains avaient un amour bien plus ardent et bien plus tenace pour l’égalité que pour la liberté ; mais je ne trouve point qu’on soit encore suffisamment remonté jusqu’aux causes de ce fait. [...]
Le goût que les hommes ont pour la liberté et celui qu’ils ressentent pour l’égalité sont, en effet, deux choses distinctes, et je ne crains pas d’ajouter que, chez les peuples démocratiques, ce sont deux choses inégales. [...] La liberté s’est manifestée aux hommes dans différents temps et sous différentes formes ; elle ne s’est point attachée exclusivement à un état social, et on la rencontre autre part que dans les démocraties. Elle ne saurait donc former le caractère distinctif des siècles démocratiques.
Le fait particulier et dominant qui singularise ces siècles, c’est l’égalité des conditions ; la passion principale qui agite les hommes dans ces temps-là, c’est l’amour de cette égalité.
Les maux que l’extrême égalité peut produire ne se manifeste que peu à peu ; ils s’insinuent graduellement dans le corps social ; on ne les voit que de loin en loin, et, au moment où ils deviennent le plus violents, l’habitude a déjà fait qu’on ne les sent plus. [...]
L’égalité fournit chaque jour une multitude de petites jouissances à chaque homme. Les charmes de l’égalité se sentent à tous moments, et ils sont à la portée de tous ; les plus nobles cœurs n’y sont pas insensibles, et les âmes les plus vulgaires en font leurs délices. La passion que l’égalité fait naître doit donc être tout à la fois énergique et générale.
Les hommes ne sauraient jouir de la liberté politique sans l’acheter par quelques sacrifices, et ils ne s’en emparent jamais qu’avec beaucoup d’efforts. Mais les plaisirs que l’égalité procure s’offrent d’eux-mêmes. Chacun des petits incidents de la vie privée semble les faire naître, et, pour les goûter, il ne faut que vivre.
Les peuples démocratiques aiment l’égalité dans tous les temps, mais il est de certaines époques où ils poussent jusqu’au délire la passion qu’ils ressentent pour elle. Ceci arrive au moment où l’ancienne hiérarchie sociale, longtemps menacée, achève de se détruire, après une dernière lutte intestine, et que les barrières qui séparaient les citoyens sont enfin renversées. Les hommes se précipitent alors sur l’égalité comme sur une conquête, et ils s’y attachent comme à un bien précieux qu’on veut leur ravir. La passion d’égalité pénètre de toutes parts dans le cœur humain, elle s’y étend, elle le remplit tout entier. Ne dites point aux hommes qu’en se livrant aussi aveuglément à une passion exclusive, ils compromettent leurs intérêts les plus chers ; ils sont sourds. Ne leur montrez pas la liberté qui s’échappe de leurs mains, tandis qu’ils regardent ailleurs ; ils sont aveugles, ou plutôt ils n’aperçoivent dans tout l’univers qu’un seul bien digne d’envie. [...]
Je pense que les peuples démocratiques ont un goût naturel pour la liberté ; livrés à eux-mêmes, ils la cherchent, ils l’aiment, et ils ne voient qu’avec douleur qu’on les en écarte. Mais ils ont pour l’égalité une passion ardente, insatiable, éternelle, invincible ; ils veulent l’égalité dans la liberté, et, s’ils ne peuvent l’obtenir, ils la veulent encore dans l’esclavage. Ils souffriront la pauvreté, l’asservissement, la barbarie, mais ils ne souffriront pas l’aristocratie.
Ceci est vrai dans tous les temps, et surtout dans le nôtre. Tous les hommes et tous les pouvoirs qui voudront lutter contre cette puissance irrésistible seront renversés et détruits par elle. De nos jours, la liberté ne peut s’établir sans son appui, et le despotisme lui-même ne saurait régner sans elle. »

Alexis de TOCQUEVILLE, De la démocratie en Amérique (1830)

Aristote - L'homme est un animal politique

Par Le 26/03/2020

La communauté achevée formée de plusieurs villages est une cité dès lors qu’elle a atteint le niveau de l’autarcie pour ainsi dire complète ; s’étant constituée pour permettre de vivre, elle permet une fois qu’elle existe de mener une vie heureuse. Voilà pourquoi toute cité est naturelle puisque les communautés antérieures [la famille, le village, les premières cités et les tribus soumises à un roi] dont elle procède le sont aussi.[…]

"Il est manifeste, à partir de cela, que la cité fait partie des choses naturelles, et que l’homme est un animal politique, et que celui qui est hors cité, naturellement bien sûr et non par le hasard des circonstances, est soit un être dégradé soit un être surhumain […] Car un tel homme est du coup naturellement passionné de guerre, étant comme un pion isolé au jeu de tric trac. C’est pourquoi il est évident que l’homme est un animal politique plus que n’importe quelle abeille et que n’importe quel animal grégaire. Car, comme nous le disons, la nature ne fait rien en vain ; or seul parmi les animaux l’homme a un langage. Certes la voix est le signe du douloureux et de l’agréable, aussi la rencontre-t-on chez les animaux ; leur nature, en effet, est parvenue jusqu’au point d’éprouver la sensation du douloureux et de l’agréable et de se les signifier mutuellement. Mais le langage existe en vue de manifester l’avantageux et le nuisible, et par suite le juste et l’injuste. Il n’y a en effet qu’une chose qui soit propre aux hommes par rapport aux autres animaux : le fait que seuls ils aient la perception du bien, du mal, du juste, de l’injuste et des autres notions de ce genre. Or avoir de telles notions en communs c’est ce qui fait une famille et une cité."

Aristote, Les Politiques (IVe s av JC)

F. Engels - L'Etat cache les luttes sociales

Par Le 26/03/2020

« L’État n’est donc pas un pouvoir imposé du dehors à la société ; il n’est pas davantage « la réalité de l’idée morale », « l’image et la réalité de la raison », comme le prétend Hegel. Il est bien plutôt un produit de la société à un stade déterminé de son développement ; il est l’aveu que cette société s’empêtre dans une insoluble contradiction avec elle-même, s’étant scindée en oppositions inconciliables qu’elle est impuissante à conjurer. Mais pour que les antagonistes, les classes aux intérêts économiques opposés, ne se consument pas, elles et la société, en une lutte stérile, le besoin s’impose d’un pouvoir qui, placé en apparence au-dessus de la société, doit estomper le conflit, le maintenir dans les limites de l’ « ordre » ; et ce pouvoir, né de la société, mais qui se place au-dessus d’elle et lui devient de plus en plus étranger, c’est l’État. […].

Comme l’État est né du besoin de refréner des oppositions de classes, mais comme il est né, en même temps, au milieu du conflit de ces classes, il est, dans la règle, l’État de la classe la plus puissante, de celle qui domine au point de vue économique et qui, grâce à lui, devient aussi classe politiquement dominante et acquiert ainsi de nouveaux moyens pour mater et exploiter la classe opprimée. C’est ainsi que l’État antique était avant tout l’État des propriétaires d’esclaves pour mater les esclaves, comme l’État féodal fut l’organe de la noblesse pour mater les paysans serfs et corvéables, et comme l’État représentatif moderne est l’instrument de l’exploitation du travail salarié par le capital. »

Friedrich Engels, L’origine de la famille, de la propriété privée et de l’État (1884)

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