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M. Foucault - La société et la guerre

sgarniel Par Le 22/03/2020 0

Dans Extraits de texte

La guerre est le chiffre de la paix

« Toute organisation politique est bâtie par une histoire. Elle a ses vicissitudes et ses violences desquelles émergent les lois, l’État livre une lutte incessante contre ce qui s’oppose à lui et cherche à le détruire. Lutter pour affirmer ses valeurs ou ses choix, voilà en quoi consiste la guerre incessante qui traverse la société. La paix n’est donc que la façade derrière laquelle il nous faut lire : « le passé oublié des luttes réelles, des victoires effectives ».

Contrairement à ce que dit la théorie philosophicojuridique, le pouvoir politique ne commence pas quand cesse la guerre. L’organisation, la structure juridique du pouvoir, des États, des monarchies, des sociétés n’a pas son principe là où cesse le bruit des armes. La guerre n’est pas conjurée. D’abord, bien sûr, la guerre a présidé à la naissance des États : le droit, la paix, les lois sont nés dans le sang et la boue des batailles. Mais par là il ne faut pas entendre des batailles idéales, des rivalités telles que les imaginent les philosophes ou les juristes : il ne s’agit pas d’une sorte de sauvagerie théorique. La loi ne nait pas de la nature, auprès des sources que fréquentent les premiers bergers ; la loi nait des batailles réelles, des victoires, des massacres, des conquêtes qui ont leur date et leur héros d’horreur : la loi nait des villes incendiées, des terres ravagées ; elle nait avec les fameux innocents qui agonisent dans le jour qui se lève.

Mais cela ne veut pas dire que la société́, la loi et l’État soient comme l’armistice dans ces guerres, ou la sanction définitive des victoires. La loi n’est pas pacification, car sous la loi, la guerre continue à faire rage à l’intérieur de tous les mécanismes de pouvoir, même les plus réguliers. C’est la guerre qui est le moteur des institutions et de l’ordre : la paix, dans le moindre de ses rouages, fait sourdement la guerre. Autrement dit, il faut déchiffrer la guerre sous la paix : la guerre, c’est le chiffre même de la paix. Nous sommes donc en guerre les uns contre les autres ; un front de bataille traverse la société́ tout entière, continûment et en permanence, et c’est ce front de bataille qui place chacun de nous dans un camp ou dans un autre. Il n’y a pas de sujet neutre. On est forcément l’adversaire de quelqu’un. »

Michel Foucault, « Il faut défendre la société » Cours au Collège de France 1976

 
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