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Le Sujet 2 : l'Inconscient
L'hypothèse de l'inconscient exclut-elle toute possibilité de connaissance de soi ?
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L’inconscient m’empêche-t-il d’être le maître de moi-même ?
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Peut-on concevoir une conscience sans inconscient ?
Lorsque Freud (1856-1939), à la fin du 19e siècle, présente à ses pairs sa théorie de l’inconscient, il rencontre une très vive résistance. La notion d’inconscient apparaît scandaleuse pour deux raisons :
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d’une part, parce qu’elle semble remettre en cause la liberté de l’homme et la maîtrise qu’il est supposé avoir de lui-même.
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d’autre part, parce que la région dite « inconsciente » de notre vie psychique semble faire la part belle à la sexualité.
Mais l’essentiel de la résistance à la découverte freudienne provient du soupçon que fait peser l’inconscient sur mes actes, sur ma conscience et ma volonté. Si l’action et la pensée obéissent à des motifs cachés, comment peut-on fonder alors une connaissance de l’homme ? Comment aussi fonder une morale qui soit une maîtrise des passions et des pulsions ? Celles-ci semblent avec l’inconscient, enfouies dans le sujet sans qu’il ne puisse en maîtriser les expressions…
Accepter l’inconscient, c’est accepter une limitation de la raison et de la connaissance. Comment se connaître soi-même si la plus grande partie du sujet reste « immergée » ? Pour mieux comprendre les enjeux de cette notion d’inconscient nous allons en étudier l’émergence après Descartes, dès la pensée de Leibniz. Nous verrons que ce scandale de l’inconscient n’est sans doute pas si nouveau qu’il y paraît. Mais nous verrons ensuite comment la théorie psychanalytique va modéliser, avec Freud mais aussi Jung ou Lacan, cet inconscient pour en offrir tout de même une connaissance ou une expression.
a) La découverte de l’inconscient
Avant Freud, certains philosophes avaient déjà montré que la représentation cartésienne du psychisme humain était insuffisante.
Pour Descartes, l'esprit s'identifie avec la conscience, avec la pensée claire et distincte. On pouvait avoir accès, par la conscience, à tout ce qui se passe en nous. Pourtant, dès le 17e, un contemporain, Leibniz, répond à Descartes que cette conception du psychisme humain n'est pas valide et est insuffisante. En effet, pour Leibniz, on ne peut pas rendre compte du psychisme, et même du comportement en général, sans reconnaître l'existence de perceptions inconscientes. Sa thèse va être que l'on n'a pas accès à (ou conscience de) tout ce que nous percevons, à tout ce qui se passe en nous, dans notre corps comme dans notre esprit. Pour Leibniz, il existe de nombreuses petites perceptions dont nous ne sommes pas conscients mais qui pourtant déterminent notre perception plus générale, notamment celle du mouvement ou du changement. Ainsi, nous percevons les étapes intermédiaires et échappons à la surprise que susciterait un changement perceptif brusque.
Leibniz, Les nouveaux Essais sur l’entendement (1704)
Prémisses de la notion d’inconscient
Ni le sens commun ni les philosophes n’ont attendu Freud pour découvrir qu’une partie de notre propre psychisme nous échappe parfois. Un homme qui tombe dans le coma est inconscient, un dangereux chauffard l’est aussi, en ce sens qu’il ne sait plus ce qu’il fait. Chez Platon, on trouve l’idée de souvenirs inconscients de la vérité contemplée dans une autre vie (théorie de la réminiscence). Leibniz (1646-1716) a formulé la thèse des « petites perceptions » inconscientes : « Il y a mille marques qui font juger qu’il y a à tout moment une infinité de perceptions en nous… c’est-à-dire des changements en l’âme même dont nous ne nous apercevons pas » (Essai sur l’entendement humain). La notion d’inconscient est ici en place, mais elle n’est pas encore conceptualisée ni bien définie.
Elle a déjà néanmoins une certaine efficacité pour remettre en cause la transparence à soi du sujet et lui apprendre l’humilité dans sa prétention à la connaissance et notamment à la connaissance de soi. En effet, comme nous le suggère Leibniz, ces mille perceptions inconscientes constituent un réseau, un ensemble de fils qui nous relie à l’univers. C’est le futur qui s’annonce par ces perceptions inconscientes pour l’homme. Alors que notre conscience des choses qui nous entoure est discontinue, le réel, le monde est lui continu, et l’avenir n’a qu’à dérouler le fil pour que l’effet suive la cause et qu’ainsi tout s’accomplisse. Cela correspond à l’idée d’une continuité nécessaire de la création, non sans rapport avec l’idée du « meilleur des mondes possibles ». Leibniz est aussi le penseur des plis, des liens et de l’infini : il conçoit par exemple le vivant non comme une simple mécanique à la manière de Descartes, non comme une machine comparable à celles réalisées par l’homme, mais comme un mécanisme constitué d’autres mécanismes, ainsi à l’infini, comme aussi un vivant relié aux autres par une infinité d’accommodements et d’adaptation, d’interaction complexe et subtile… Les petites perceptions inconscientes font partie de ce réseau infini qui constitue notre réalité concrète. Les petites perceptions sont l’expression de la vitalité naturelle et des liens que l’on partage avec le monde.
On comprend pourquoi, chez les Romantiques, cet inconscient des liens non perçus entre le sujet et ce qui l’entoure sera interprété comme un lien mystique et imperceptible avec la nature et la divinité. Mais, nous pouvons trouver l’écho de cette conception chez les philosophes contemporains comme les phénoménologues (des philosophes qui s'intéressent au vécu de la conscience et notamment à la perception) qui attireront notre attention sur le fond non perçu sur lequel se détachent notre perception et les choses dont nous avons conscience.
Ainsi Husserl montrera qu’il y a un inconscient dans notre perception du monde et de nous-même. Il faut, à l’exemple de Leibniz, différencier percevoir et s’apercevoir, prendre conscience. En effet, nous ne nous apercevons que d’une infime partie de ce que nous percevons (d’où sans doute les pressentiments) et la connaissance de nous-même est limitée et partielle.
Edmund Husserl (1859-1938) relève que quand je perçois un objet ici et maintenant, quand je suis conscient de quelque chose ou d’un état de mon être, c’est toujours sur un arrière-plan d’expériences passées et inaperçues ? Nous devons admettre ce qu’il nomme « une aire de perception formant arrière-plan ». Ce fond de vécus inconscients qui cernent notre conscience est en réalité riche de sens. En effet, il est constitué de toutes nos expériences passées, de notre histoire et de notre culture. Mais il est aussi constitué de nos savoirs accumulés et de significations préexistantes. Enfin, il est aussi l’horizon commun que l’on partage avec autrui, l’horizon intersubjectif. Ce qui fait que je ne perçois pas tout seul, je ne suis pas conscient dans la solitude de ma retraite, mais bien au milieu du monde et des autres…
Exemple de la perception d’une feuille de papier : on perçoit aussi le bureau, les crayons, les livres, la classe, les élèves, etc. Tous ces éléments donnent un sens particulier à cette feuille de papier que j'ai devant moi quand je fais cours. Je la perçois comme un support de mon cours et je lui donne un sens particulier dans ce contexte. Elle ne serait pas perçue de la même façon dans un contexte différent, par exemple si je la découvrais sur le parebrise de ma voiture, ou au fond d’un sac de courses… Le contexte, l’expérience vécue, la présence d’autres sujets donnent un sens particulier à ma perception de la feuille de papier !
Nous pourrions reprendre ironiquement la conception cartésienne de l’idée claire et distincte : une idée n’est claire et distincte que si elle se distingue sur un fond obscur, un fond d’inconscient… Il y a un champ de perception que l’on parcourt du regard et sur lequel les éléments vont se détacher en venant à la conscience. De même, il y a un flux de vécus qui passe en nous et nous n’avons conscience que de la partie actuelle de note conscience. Ce qui se trouve à l’arrière-plan est un horizon inconscient. Mais le plus étonnant, c’est que cette partie consciente dans le sujet, est toujours prête à se convertir en inconscience.
On pourrait comparer la conscience à une lampe de poche que nous promenons sur le monde obscur (intérieur ou extérieur) et qui n’éclaire que ce qu’elle vise. Pour les phénoménologues, la conscience est justement une visée : conscience de quelque chose. Il faut retenir cette idée d’une visée qui fait passer dans la conscience et celle d’un horizon qui constitue le fond de toute perception et de toute conscience.
Ainsi, hors même de la conception freudienne de l’Inconscient que nous allons détailler, une approche attentive de la manière dont la conscience fonctionne nous dévoile l’importance de perceptions inconscientes inaperçues.
Cette approche nous montre aussi que l’on peut passer de la conscience à l’inconscient, selon l’attention et le moment. La conscience est fluctuante et inconstante : comme le soulignera , Henri Bergson la conscience est liée à la nouveauté : si j’apprends à faire du vélo, je suis conscient de mes mouvements, de leur enchaînement ; mais quand je sais enfin faire du vélo, je ne suis plus conscient de ces mouvements, c’est d’ailleurs l’indice d’un apprentissage réussi. L’inconscient, c’est ce qui se fait automatiquement, en pilotage automatique. Il en est de même pour la mémoire qui nécessite la conscience pour la mémorisation, mais ensuite disparaît de la conscience, pour réapparaître quand je sollicite mes souvenirs pour réaliser un exercice ou une action. Ainsi la conscience se détache sur un fond d’inconscience, la conscience est partielle !
Mais ces échanges entre conscient et inconscient sont-ils toujours aussi simples, aussi faciles ? En effet, parfois je ne parviens pas à me remémorer telle ou telle chose. Ou au contraire, je ne parviens pas à oublier, à penser à autre chose ! Nous avons tous fait l’expérience de souvenirs que nous cherchions en vain ou au contraire de souvenirs qui surgissaient sans que nous ne le souhaitions ? Est-il possible que les échanges entre l’inconscient et la conscience ne soient pas seulement liés à la nécessité de l’apprentissage ou à la nouveauté ? N’y a-t-il pas parfois des blocages, des "grains de sable" qui viennent gripper la mécanique de la prise de conscience ? C’est à tous ces dysfonctionnements du psychisme que Freud va s’intéresser pour constituer une théorie de l’Inconscient qui voit en celui-ci une partie importante du sujet, une partie cachée de notre psychisme qui explique nos comportements et nos actes.
b) Que nous cache l’Inconscient ?
L’inconscient tel qu’il est évoqué ici n’est pas encore l’Inconscient freudien. Il n’est que le fond sur lequel se détache la conscience et non ce qui va venir contester radicalement son empire. Pour Freud, l’Inconscient est au contraire une instance qui définit le sujet et l’individu. L’Inconscient devient un substantif, ce n’est plus le simple qualificatif de ce qui n’est pas conscient. C’est bien quelque instance qui échappe à la conscience mais que l’on peut définir et dont on peut tenter de connaître le fonctionnement.
La révolution opérée par Freud est assez simple : la théorie psychanalytique consiste à scinder en deux parties le sujet humain. La conscience dans la philosophie classique était une et unique, d’un seul bloc, sans faille. Freud introduit justement une faille au sein même du sujet humain. Mais cette révolution repose d’abord sur la découverte d’un continent inexploré, celui de l’Inconscient.
C’est à partir de ses propres observations (souvent menées sur lui-même) que Freud va découvrir l’Inconscient. Bien sûr, il n’est pas l’inventeur de la psychologie puisqu’il s’inscrit dans le développement au XIXème des sciences humaines, c’est-à-dire des sciences qui pour la première fois vont prendre pour objet l’homme et ses caractéristiques (par différence avec les sciences abstraites, mais aussi avec les sciences de la nature). Il est ainsi le continuateur des études de Charcot et se servira à ses débuts de ses méthodes comme l’hypnose par exemple, avant de découvrir le moyen de l’analyse proprement psychanalytique.
Freud étudie les cas pathologiques, mais ils vont lui révéler une face de la subjectivité commune à tous les hommes. Il s’aperçoit d’abord que le discours insensé des malades et les symptômes qu’ils présentent révèlent une histoire à ceux qui savent les écouter et les interpréter. Il ne faut pas oublier dans le concert de critiques actuelles de la psychanalyse que celle-ci représente d’abord une révolution pratique dans la considération des cas psychiatriques, des cas cliniques. Il ne s’agit plus de disqualifier le fou comme étant un insensé simple dont la maladie et l’expression échappent à la raison, mais de tenter de comprendre la signification de cette maladie, son sens.
Freud cherche à expliquer le comportement des malades qu’il reçoit. Il est conduit à émettre l’hypothèse de l’Inconscient afin de comprendre mais les « symptômes psychiques » et les « phénomènes compulsionnels », mais aussi « les actes manqués » et les « rêves ».
« Tous ces actes conscients demeurent incohérents et incompréhensibles si nous nous obstinons à prétendre qu’il faut bien percevoir par la conscience tout ce qui se passe en nous en fait d’actes psychiques ».
L’hypothèse de l’Inconscient est une hypothèse nécessaire face au caractère inexplicable de certains actes ou comportements. De plus, cette hypothèse se révèle féconde, il est possible de les comprendre si l’on se réfère aux intentions inconscientes, au désir inconscient de l’individu. Cela signifie qu’un observateur extérieur peut révéler en chacun la source inconsciente de ses actes.
C’est ce fonctionnement propre à l’Inconscient que Freud va tenter de démontrer en étudiant sa formation. Ainsi, l’Inconscient est-il formé d’abord de tout ce qui est refoulé. Il découvre un mécanisme psychique complexe qui empêche certains affects, certains traumatismes de devenir conscients. Bien entendu, tous nos souvenirs, notre savoir, ne peuvent être présents à chaque instant à la conscience, mais l’important est qu’ils puissent être mobilisés lorsque nous en avons besoin (c’est la conception bergsonienne de l’inconscient). Pourtant, il existe une résistance, des mécanismes qui empêchent certains souvenirs de devenir conscients, parce qu’ils ont été refoulés. Ces souvenirs sont liés à des traumatismes dont la prise de conscience est trop difficile pour le sujet, mais aussi plus simplement et plus généralement à des désirs inavouables présents à certaines étapes de notre développement, dans la petite enfance. Ainsi, le complexe d’Œdipe (désir inconscient d'entretenir un rapport sexuel avec le parent du sexe opposé et celui d'éliminer le parent rival du même sexe) par exemple est-il selon Freud présent en chaque enfant, mais il s’agit de le dépasser et de l’intégrer correctement. Les pathologies sont ainsi la conséquence de transitions psychiques mal gérées. Il s’agira lors de la cure psychanalytique de les mettre à nouveau à jour et d’en permettre un nouveau dépassement.
Si au départ l’inconscient est ainsi pour Freud constitué de ces désirs refoulés et de ces souvenirs honteux, il s’apercevra par la suite que l’on peut reconnaître dans l’Inconscient le refoulement et la domestication des forces primitives que constituent les pulsions, notamment les pulsions sexuelles, la libido. L’Inconscient est ainsi le résultat non seulement d’un refoulement ponctuel, mais bien plus universellement, d’un conflit à l’intérieur de l’âme humaine entre des forces contradictoires. Car en effet, si les pulsions peuvent être refoulées et si le sujet peut construire des résistances qui s’opposent à leur expression, elles ne peuvent être détruites et l’on s’expose au « retour du refoulé », c’est-à-dire à l’irruption pathologique et incompréhensible de comportements qui échappent à la volonté du sujet. Ce conflit, Freud en propose une représentation, un schéma de la constitution d’une âme humaine, dans ses deux topiques.
Sigmund Freud, Nouvelles conférences de psychanalyse (1932)
La topique freudienne du ça, du moi et du surmoi
La théorie de Freud
L’inconscient chez Freud devient un substantif. Il désigne une partie de nous-mêmes, ou plus exactement une zone de notre esprit où sont stockés une foule de souvenirs, de fantasmes, de désirs inavouables, que nous ne pouvons pas atteindre car une résistance en nous s’y oppose. L’inconscient est donc une sorte de sous-sol de notre vie psychique où se réfugie tout ce qui heurte notre conscience. Le refoulement est la notion clef de la théorie freudienne. Mais l'Inconscient est plus que cela : il est le réservoir de notre énergie psychique, d'un élan vital qui ne connaît ni la morale, ni le principe de réalité.
Ainsi le psychisme comporte trois « instances » : le « ça » qui englobe l’ensemble de nos pulsions, le « sur-moi », qui est en nous le représentant de l’exigence morale, et le « moi » qui est le médiateur, autrement dit cette mini-personne en nous-même qui s’efforce de réconcilier les différents points de vue.
Freud a élaboré deux théories de l’inconscient : La première topique se divisait en trois parties (conscient, préconscient, inconscient) mais Freud a vite compris les limites de cette conception. Il a donc créé une seconde topique (en 1923), bâtie sur le triptyque ça, surmoi, moi. C’est cette seconde topique qui marque le plus profondément la scission avec la philosophie classique. Freud définit en effet trois instances présentes en l’homme, lesquelles régissent ses comportements, à la fois conscients et inconscients.
Le ça
Voici comment Freud décrit le ça:
“C’est la partie la plus obscure, la plus impénétrable de notre personnalité. [Lieu de] Chaos, marmite pleine d’émotions bouillonnantes. Il s’emplit d’énergie, à partir des pulsions, mais sans témoigner d’aucune organisation, d’aucune volonté générale ; il tend seulement à satisfaire les besoins pulsionnels, en se conformant au principe de plaisir. Le ça ne connaît et ne supporte pas la contradiction. On n'y trouve aucun signe d’écoulement du temps”
Le ça désigne la part la plus inconsciente de l’homme, c’est le réservoir des instincts humains, le réceptacle des désirs inavoués et refoulés au plus profond. Ces besoins pulsionnels doivent être canalisés, notamment via la sublimation (qui consiste à réaliser de manière détournée un désir pulsionnel : par exemple, l’artiste sublime ses désirs dans une œuvre).
Le Surmoi
Le Surmoi représente une intériorisation des interdits parentaux, une puissance d’interdiction dont le Moi est obligé de tenir compte. L’être humain subit, en effet, durant son enfance, une longue dépendance qu’exprime le Surmoi. Le surmoi est cette voix en nous qui dit “il ne faut pas”, une sorte de loi morale qui agit sur nous sans comprendre son origine. Elle semble être l’écho de l’interdiction parentale et de l’éducation, mais elle comprend finalement toutes les prescriptions morales que l’on retrouve dans différentes institutions de la société : école, travail, règles de politesse…
Le Moi
Le Moi désigne la partie de la personnalité assurant les fonctions conscientes :
“Le moi a pour mission d’être le représentant de ce monde aux yeux du ça et pour le plus grand bien de ce dernier. En effet, le moi, sans le ça, aspirant aveuglément aux satisfactions instinctuelles, viendrait imprudemment se briser contre cette force extérieure plus puissante que lui. Le moi détrône le principe de plaisir, qui, dans le ça, domine de la façon la plus absolue. Il l’a remplacé par le principe de réalité plus propre à assurer sécurité et réussite.”
Le moi assure la stabilité du sujet, en l’empêchant au quotidien de libérer ses pulsions.
Au terme de l’étude de l’approche freudienne, on constate la complexité du psychisme humain, de l’âme humaine. Cette complexité interdit, quoi que l’on pense des descriptions freudiennes, de s’en tenir au sujet conscient de lui-même et de sa volonté. Elle nous oblige à prendre en compte une altérité intérieure dont on verra qu’elle peut renvoyer à l’altérité extérieure, à autrui… L’Inconscient, dont Freud fera une généralité expliquant la nature humaine (tout homme possède cet Inconscient) et sans doute l’histoire (l’évolution sociale et notamment les processus de civilisation s’éclairent à partir de cette découverte) ou l’art par exemple (l’artiste exprime ses pulsions inconscientes dans son art et ainsi les sublime), nous cache donc notre nature violente, nos désirs sexuels refoulés et finalement une forme de bestialité constitutive.
Mais alors, peut-on rendre conscient l’inconscient ? Peut-on avoir une connaissance de cet Inconscient qui nous permette de l’apprivoiser ?
c) Peut-on connaître son Inconscient ?
L’Inconscient que découvre Freud, est un continent dont il va se faire l’explorateur. Sa méthode est liée au discours du patient (l’analysant) que l’analyste est chargé d’interpréter. Il aura recours à l’hypnose d’abord, puis au discours libre (association d’idées) et à l’analyse des rêves. Pour lui, le discours libéré de l’analysant révèle à l’observateur ce qu’il se cache à lui-même. En effet, les désirs refoulés et les pulsions se dévoilent à travers la parole par des processus dont on peut faire la liste : déplacement (obsession, phobie) et condensation (par laquelle on va regrouper en un seul symbole, actes manqués, jeux de mots) et figuration (on habille son discours irrationnel de raisons et d’enchaînements qui paraissent logiques). Ce sont ces méthodes d’évitement que l’analyste doit percer à jour avec l’analysant pour conduire les désirs à une expression satisfaisante : par exemple par une sublimation (cathartique) dans l’art, dans la réalisation de projets, etc. Il ne s’agit pas en effet de « ravaler » ses désirs (s’exposer au retour du refoulé), mais bien de mettre à profit l’énergie dont ils sont la source (voire l’unique source) pour réaliser ses véritables aspirations.
Nous allons voir qu’un des moyens privilégiés par Freud pour interpréter la psyché des patients est son travail sur les rêves. Il refuse d’établir un traité d’interprétation symbolique des rêves afin d’éviter la confusion avec des pratiques ancestrales de divination à partir des rêves. Il n’est pas question ici de prédire l’avenir, mais bien de comprendre le présent du sujet et de lui révéler ce qui lui échappe. Pour Freud, le rêve est la voie royale de l'inconscient. Les rêves sont des représentations de désirs refoulés dans l’inconscient par la censure interne (le surmoi de sa seconde topique). Les désirs se manifestent dans le rêve de manière moins réprimée qu'à l'état de veille. Le contenu manifeste du rêve est le résultat d'un travail intrapsychique qui vise à masquer le contenu latent, par exemple un désir œdipien. En cure de psychanalyse, le travail repose sur l'interprétation à partir du récit (contenu manifeste) du rêve pour en révéler le contenu latent. Les associations libres du discours de l’analysant sur son rêve permettent de révéler la bonne interprétation.
Pour Freud, la connaissance de soi est nécessaire à la guérison et à l’équilibre de la personnalité. Il faut remonter aux idées inconscientes responsables de la souffrance pour les rendre conscientes et supprimer le conflit, ainsi que la division du sujet avec lui-même. La méthode pour faire accéder à la conscience les pulsions et les désirs inconscients est celle de l’analyste qui peut interpréter les symptômes et les délires de l’analysant et les rendre conscients. Il s’agit donc encore d’un travail de connaissance. Selon Freud, la conscience demeure l'objectif de la cure psychanalytique capable de rendre conscients des désirs refoulés. Ainsi, par l’analyse des rêves, Freud entend comprendre les motivations secrètes, les refoulements, les désirs enfouis qui viennent perturber l’état de conscience… La psychanalyse comprend donc tout sujet comme un sujet scindé (entre conscient et inconscient), mais aussi comme un individu capable de mieux se connaître, de prendre conscience de lui-même. Certes, la conscience ne délivre pas une connaissance de soi immédiate, mais si l'on travaille sur soi avec l'aide d'un autre (le psychanalyste), on peut parvenir à une meilleure connaissance de soi-même. Il faut apprendre néanmoins à décrypter les expressions de l'inconscient que sont les lapsus, les jeux de mots, les rêves, les symptômes... Tout un ensemble de signes qui constituent comme le langage de l'inconscient.
Jean-David Nasio, Cinq leçons sur la théorie de Jacques Lacan (1992)
Lacan - Entretien avec Madeleine Chapsal paru dans L’express du 31 mai 1957, n° 310
C'est cette hypothèse selon laquelle l'inconscient serait comparable à un langage qui va permettre au psychanalayste français, Jacques Lacan (1901-1981) de développer une compréhension intersubjective de celui-ci. Pour lui, comme nous le rappelle Jean-David Nasio, l’Inconscient est structuré comme un langage. Ceci ne veut pas dire que l’Inconscient soit un langage, mais que l'on peut considérer les expressions du discours de l'analysant comme celle d'un inconscient qui ne devient interprétable que dans l'échange avec l'analyste.
Lacan : si l’inconscient est structuré comme un langage, l’analysant et l’analyste peuvent libérer l’individu par la prise de conscience
Libre association, Parole : nous remarquons ainsi que le langage et la parole, loin d’être de simples moyens de communication, sont aussi les véhicules de nos désirs, de nos pulsions, de notre subjectivité même inconsciente. Ainsi, le discours a-t-il une valeur expressive qui dépasse la simple transmission d’informations : il est à la fois le moyen d’exprimer sa pensée, sans doute est-il aussi inséparable de la pensée qui se forme toujours par son moyen, mais il est enfin le signe des pensées ou du psychisme du locuteur. Il révèle plus qu’il ne dit explicitement…
On le voit, il s’agit encore et toujours de restaurer l’empire de la conscience et de rétablir la stabilité des états de conscience. Pourtant on peut contester dans doute la nature scientifique des découvertes psychanalytiques. Ainsi par exemple, Popper expliquera que la psychanalyse ne peut être considérée comme une science, car aucune expérimentation ou aucun test déterminant ne pourrait contredire ses interprétations. Elle déroge donc au principe de toute science selon Popper, celui de fournir les moyens de sa falsifiabilité, c'est-à-dire qu'une affirmation est dite scientifique si sa forme logique est telle qu'il est possible de tester son éventuelle fausseté par une expérimentation. Le problème est ici que ce critère de scientificité semble disqualifier à l'avance toutes les sciences humaines qui sont des sciences d'interprétation et qui ne peuvent donc par définition proposer de tels tests : la validité d'une interprétation tient à sa cohérence, son efficacité explicative et sa fécondité scientifique, non à sa résistance à un test particulier.
La connaissance que l’analyste tente d’établir est plutôt une interprétation qu’une réelle connaissance. Elle est une lecture du psychisme à travers ses expressions pour en retrouver un sens latent. Mais tenter de comprendre, d'interpréter, est-ce connaître ? Ne peut-on pas proposer plusieurs interprétations du psychisme qui seraient aussi valables que celles proposées par la psychanalyse ? De même, on pourrait refuser l’hypothèse du déterminisme psychique à la base de la découverte de l'inconscient : selon lui, rien de ce que l’on ressent, dit ou rêve n’est insensé ! Il y a un déterminisme chez Freud qui peut faire douter du contrôle par chacun dans ses actes ou ses pensées, or un tel déterminisme s’oppose totalement à l’idée de liberté humaine et de responsabilité. C’est ce que reprochera Sartre à la conception freudienne : l’inconscient n’est-il pas une expression de la mauvaise foi du sujet, ne se sert-il pas de l’inconscient comme excuse pour son existence et ses choix ?
Pourtant, au-delà du déterminisme psychique et même de la méthode de mise à jour de l’inconscient, ce qui demeure essentiel dans la découverte freudienne, c’est la place occupée par le désir dans le psychisme humain. Pour avoir une meilleure connaissance du sujet, de soi, ne faut-il pas s’attacher à rendre compte de ce désir essentiel à l’homme ? Le Désir s'impose comme la vérité de l’Inconscient et du Sujet !
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