« Chaque conscience de soi est pour soi, et, en tant que telle, elle nie toute altérité ; elle est désir, mais désir qui se pose dans son absoluité. Cependant elle est aussi pour un autre, ici pour une autre conscience de soi, c'est donc qu'elle se présente comme « enfoncée dans l'être de la vie », et elle n'est pas pour l'autre conscience de soi ce qu'elle est pour soi-même. Pour elle-même elle est certitude absolue de soi, pour l'autre elle est un objet vivant, une chose indépendante dans le milieu de l'être, un être donné ; elle est donc vue comme un « dehors ». C'est cette inégalité qui doit disparaître, et disparaître aussi bien d'un côté que de l'autre, car chacune des consciences de soi est aussi une chose vivante pour l'autre et une certitude absolue de soi pour soi-même ; et chacune ne peut trouver sa vérité qu'en se faisant reconnaître par l'autre comme elle est pour soi, en se manifestant au dehors comme elle est au dedans. Mais dans cette manifestation de soi, elle doit découvrir une égale manifestation chez l'autre. [...]
La conscience de soi ne parvient donc à exister, au sens où exister n'est pas seulement être-là à la manière des choses, que par une « opération » qui la pose dans l'être comme elle est pour soi-même ; et cette opération est essentiellement une opération sur et par une autre conscience de soi. Je ne suis une conscience de soi que si je me fais reconnaître par une autre conscience de soi, et si je reconnais l'autre de la même façon. Cette reconnaissance mutuelle, telle que les individus se reconnaissent comme se reconnaissant réciproquement, crée l'élément de la vie spirituelle, le milieu où le sujet est à soi-même objet, se retrouvant parfaitement dans l'autre, sans toutefois faire disparaître une altérité qui est essentielle à la conscience de soi. »
Jean Hyppolite, Genèse et structure de la Phénoménologie de l’esprit de Hegel (1946)