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E. Morin. Science avec conscience

sgarniel Par Le 25/11/2021 0

Dans Extraits de texte

"Depuis trois siècles, la connaissance scientifique ne fait que prouver ses vertus de vérification et de découverte par rapport à tous autres modes de connaissance. C'est la connaissance vivante qui mène la grande aventure de la découverte de l'univers, de la vie, de l'homme. Elle a apporté, et singulièrement dans ce siècle, un fabuleux progrès dans notre savoir. Nous savons aujourd'hui mesurer, peser, analyser le soleil, évaluer le nombre de particules constituant notre univers, déchiffrer le langage génétique qui informe et programme toute organisation vivante. Cette connaissance permet une précision extrême dans tous les domaines de l'action, jusque dans le guidage des vaisseaux spatiaux hors de l'orbite terrestre.

Corrélativement, il est évident que la connaissance scientifique a déterminé des progrès techniques inouïs, dont la domestication de l'énergie nucléaire et les débuts de l'ingénierie génétique. La science est donc élucidante (elle résout des énigmes, dissipe des mystères), enrichissante (elle permet de satisfaire des besoins sociaux et par là d'épanouir la civilisation) et, de fait, elle est justement conquérante, triomphante.

Et pourtant, cette science élucidante, enrichissante, conquérante, triomphante, nous pose de plus en plus de grave problèmes qui ont trait à la connaissance qu'elle produit, à l'action qu'elle détermine, à la société qu'elle transforme. Cette science libératrice apporte en même temps des possibilités terrifiantes d'asservissement. Cette connaissance vivante est celle qui a produit la menace d'anéantissement de l'humanité. Pour concevoir et comprendre ce problème, il faut en finir avec l'alternative stupide entre une « bonne » science, qui n'apporte que des bienfaits, et une « mauvaise » science, qui n'apporte que des méfaits. Il nous faut, au contraire, dès le départ, disposer d'une pensée capable de concevoir et de comprendre l'ambivalence, c'est-à-dire la complexité intrinsèque qui se trouve au coeur même de la science. [...]

Nous savons de plus en plus que le progrès scientifique produit autant de potentialités (1) asservissantes ou mortelles que de potentialités bénéfiques. Depuis le déjà très lointain Hiroshima, nous savons que l'énergie atomique signifie potentialité, elle comporte des dangers, non seulement biologiques, mais aussi ou surtout sociaux et politiques. Nous pressentons que l'ingénierie génétique peut autant industrialiser la vie que biologiser l'industrie. Nous devinons que l'élucidation des processus biochimiques du cerveau permettra des interventions sur notre affectivité, notre intelligence, notre esprit.

Plus encore : les pouvoirs créés par l'activité scientifique échappent totalement aux scientifiques eux-mêmes. Ce pouvoir, en miettes au niveau de la recherche, se trouve reconcentré au niveau des pouvoirs économiques et politiques. En quelque sorte, les scientifiques produisent un pouvoir sur lequel ils n'ont pas de pouvoir, mais qui relève des instances déjà toutes-puissantes, aptes à utiliser à fond les possibilités de manipulation et de destruction issues du développement même de la science."

Edgar Morin, Science avec conscience (1982)

 
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