"Pour le moment, bornons-nous à dire que l'âme est le principe des facultés suivantes, et se trouve définie par elles : la nutrition, la sensibilité, la pensée et le mouvement. Chacune de ces facultés est-elle l'âme, ou seulement une partie de l'âme? Et si c'est une partie, est-ce de façon qu'elle soit séparée seulement pour la raison, ou bien aussi séparée matériellement? Ce sont là des questions dont quelques unes peuvent aisément se résoudre, et dont quelques autres présentent de grandes difficultés.
Ainsi, de même que, dans les plantes, quelques unes, comme on peut le voir, vivent après qu'on les a divisées et séparées les unes des autres, comme si pour ces êtres l'âme était parfaitement et réellement une dans chacune d'elles, et qu'en puissance elle fût multiple ; de même nous voyons, avec une autre différence de l'âme, un phénomène analogue se produire pour les insectes que l'on coupe. Chacune de leurs parties possède la sensibilité et la locomotion ; et si elles ont la sensibilité, elles ont aussi et l'imagination et le désir ; car là où il y a sensation, là aussi il y a peine et plaisir ; et là où sont ces deux affections, il y a nécessairement désir.
On ne saurait ici encore affirmer rien de fort clair, ni de l'intelligence ni de la faculté de percevoir ; mais l'intelligence semble être un autre genre d'âme, et le seul qui puisse être isolé du reste, comme l'éternel s'isole du périssable. Quant aux autres parties de l'âme, les faits prouvent bien qu'elles ne sont pas séparables, ainsi qu'on le soutient quelquefois. Mais au point de vue de la raison, elles sont différentes évidemment; car c'est tout autre chose d'être sensible et d'être pensant, parce que sentir et juger sont choses très différentes. Et de même pour chacune des facultés qu'on vient de nommer. De plus, certains animaux les ont toutes, d'autres n'en ont que quelques unes, d'autres n'en ont qu'une seule. C'est là ce qui constitue leur différence ; et nous verrons plus tard quelle en est la cause. Mais il se passe quelque chose d'à peu près pareil pour les sens. Certains animaux les ont tous ; d'autres n'en ont que quelques uns ; d'autres enfin n'en ont qu'un seul ; et c'est alors le plus nécessaire de tous, le toucher."
Aristote, Le Traité de l'âme (IVe s av. JC)